Retour vers le futur. Le gouvernement entend recréer une forme de Commissariat général au plan, une institution née en 1946 sous le général de Gaulle et supprimée en 2006 par Jacques Chirac. Le Premier ministre, Jean Castex, a résumé l’idée lors de son discours de politique générale à l’Assemblée le mois dernier : « L’action de l’Etat est trop souvent réduite à la simple gestion des crises et des urgences. Nous avons progressivement perdu notre capacité à nous projeter dans le long terme. A planifier une politique économique, à identifier les gisements de croissance futurs, à définir une perspective, à fixer un cap. »
Le « colbertisme 2.0 » a le vent en poupe en France, notamment dans la classe politique. L’idée transcende les clivages. Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen comme le député LR Aurélien Pradié prônent tous un « retour de l‘Etat-stratège ». La gestion de la crise du Covid-19, sur les masques ou les tests, a mis en évidence le manque d’agilité de la puissance publique, notamment par rapport au secteur privé. « Ce serait un bon moyen d’acter le fait qu’on tourne la page d’un certain néolibéralisme qui a donné le pouvoir aux marchés financiers pour retrouver une vraie politique industrielle », souligne Daniel Cohen, professeur à l’Ecole d’économie de Paris.
Anticiper les défis futurs
Mais à quoi pourrait ressembler un « Plan » en 2020 ? Pour un proche du dossier, « c’est d’abord un moyen de faire profiter François Bayrou une dernière fois des ors de la République », le président du Modem et allié d’Emmanuel Macron étant pressenti pour le poste. Mais d’autres défendent l’idée même de projection dans le temps long. Le parallèle avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que le chef de l’Etat a comparé la crise du Covid à « une guerre », est tentant. Mais évidemment anachronique. Dans une tribune publiée en mai, le politologue Patrick Weil résumait ainsi l’utilité de recréer le Plan : « La planification doit redevenir non le cadre de toute l’action économique, mais une coopération dans des secteurs clés. »
« Il y a une forte attente de la part des Français que la puissance publique soit mieux préparée à faire face aux crises et aux évolutions structurelles du pays, pour en garder la maîtrise. L’Etat doit pouvoir anticiper les défis futurs et les risques émergents », défend le député Modem Jean-Noël Barrot. Lui plaide pour faire du Plan « un instrument de dialogue et de concertation, à la façon dont Jean Monnet, premier commissaire au Plan, avait fait travailler ensemble des Français d’horizons différents pour réfléchir à l’avenir du pays ».
Ce ne sont pourtant pas les comités et conseils en tout genre qui manquent au gouvernement pour prendre des choix « éclairés ». France Stratégie, le Conseil d’analyse économique, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), l’Agence de la cohésion nationale des territoires (ANCT), le Conseil national de la productivité, le Conseil d’orientation des retraites (COR), le Haut conseil des finances publiques (HCFP)… A Bercy, Arnaud Montebourg avait même créé un conseil indépendant pour la croissance et le plein-emploi. « La création d’un commissariat général au Plan peut aussi être une bonne occasion de réfléchir à cette architecture », souligne le président d’un des comités.
Un rôle de chef d’orchestre
Les contours d’un nouvel outil de planification sont encore flous. Et les débats nombreux. « Le Plan devra jouer un rôle de chef d’orchestre. Il pourrait s’appuyer sur les ministères pour lancer des réflexions sur la résilience et la mutation de nos systèmes économiques et écologiques. Mais il faut qu’il soit doté de financements propres sans quoi il ne sera qu’un outil de prospective supplémentaire », prévient Daniel Cohen.
Pour d’autres, le Plan est au mieux mal défini. Voire inutile. « L’Allemagne n’a pas eu besoin d’un commissariat général au Plan pour investir dix fois plus que la France dans l’hydrogène », observe Elie Cohen, économiste au CNRS. « Le colbertisme high-tech du TGV et du Minitel est mort avec la mondialisation et la création de l’Union européenne. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’un ‘Plan’ mais d’outils qui permettent d’orienter les fonds publics vers des projets de développement en partenariat avec le privé, tels que la Darpa [Defense Advanced Research Projects Agency, NDLR] aux Etats-Unis », avance-t-il.
Prospective, planification, instrument de recherche du consensus ou coopération entre le public et le privé pour orienter la recherche ? Emmanuel Macron va devoir choisir. Et éviter de créer une coquille vide.