La crise économique entraînée par l’épidémie de Covid-19 accroît les inégalités. C’est ce que montre une étude du Conseil d’analyse économique publiée ce lundi.
Les économistes qui travaillent pour cette institution, rattachée à Matignon, ont eu accès aux données du groupement des cartes bancaires et à 300.000 comptes de clients du Crédit Mutuel, de façon anonyme évidemment. Et ils montrent que, depuis mars, la moitié du surcroît d’épargne accumulée par les Français, empêchés de consommer pendant le confinement, provient des 10 % des ménages les plus aisés. Les 20 % des ménages les plus riches ont même concentré près de 70 % du surcroît de l’épargne, soit 32 milliards d’euros sur les 50 milliards accumulés entre mars et août 2020.
Fin septembre, la Banque de France estimait qu’un tiers de l’épargne totale accumulée provenait de l’Ile-de-France, la région la plus riche de l’Hexagone qui ne concentre que 20 % de la population. Et tout cet argent n’a certes pas été consommé mais il n’a pas non plus été investi dans des actifs risqués. En clair, il n’a pas servi encore à financer les investissements du tissu productif. Il dort sur des comptes bancaires.
Concentration de l’épargne
Ce phénomène de concentration de l’épargne s’explique en partie par la structure de la consommation des plus aisés : alors qu’ils épargnent plus que les autres, ils consomment aussi plus de services comme les voyages, les loisirs, l’hôtellerie-restauration, la culture, qui sont encore aujourd’hui limités par la pandémie. Conséquence : en septembre, la consommation des 10 % les plus aisés n’avait toujours pas retrouvé son niveau d’avant la crise.
Les injonctions à consommer cette épargne de la part des économistes et du gouvernement sont, pour l’instant, des coups d’épée dans l’eau. Ce qui se voit aussi dans les dépenses selon les secteurs. Alors que la consommation en biens durables a bien rebondi dès la fin du confinement, ce n’est pas le cas des dépenses dans les secteurs qui requièrent des interactions sociales et pour lesquels la consommation est difficilement substituable entre périodes comme les restaurants, les spectacles, la culture. Là, la chute pendant le confinement n’a pas été compensée après la sortie de cette « hibernation ».
Revenus des plus pauvres sous pression
« L’excès d’épargne est très inégalement réparti, souligne Camille Landais, un des auteurs de l’étude, membre du CAE et professeur d’économie à la London School of Economics. Les 20 % des ménages les plus modestes n’ont pas épargné et ont même dû s’endetter pour consommer puisque leurs dépenses se concentrent sur les biens essentiels. »
Tout cela tend à prouver que les revenus des plus pauvres ont été particulièrement sous pression depuis le début de la pandémie, malgré la mise en place de filets de sécurité. Le dispositif de chômage partiel a par exemple coûté 31 milliards d’euros et a sauvé des centaines de milliers d’emplois et d’entreprises. Selon l’OCDE, la France est le pays développé dans lequel les revenus des ménages ont été les mieux préservés . Ils n’ont baissé que de 2,3 % au deuxième trimestre et l’Insee prévoit que le pouvoir d’achat ne reculera que de 0,6 % cette année. Au regard de la baisse du PIB attendue – environ 9 % cette année -, le coût pour les ménages est faible. Mais c’est une moyenne et donc, ce chiffre cache des disparités.
Nécessité d’un soutien plus franc aux plus modestes
Pour le CAE, « un soutien beaucoup plus franc aux ménages les plus modestes, plus exposés aux conséquences économiques des mesures sanitaires, va très rapidement s’avérer nécessaire ». D’autant que la pandémie reprend, ce qui empêche tout rebond durable de l’activité économique. Pour Camille Landais, « il faut vraiment mettre le paquet sur les plus pauvres sinon, nous aurons beaucoup de casse ».
L’étude juge efficace l’augmentation de 100 euros de l’allocation de rentrée scolaire. Le gouvernement veut continuer cette politique de mesures ciblées sur les populations les plus en difficulté. Des mesures de lutte contre la pauvreté seront ainsi présentées samedi par Matignon, et le collectif budgétaire de fin d’année comprendra d’autres dispositions, le rapporteur du budget Laurent Saint-Martin (LREM) plaidant notamment pour un « chèque Covid ». Le gouvernement réfute en revanche toute velléité d’augmenter les impôts mais la pression risque fort de croître, à gauche, pour un prélèvement sur les Français les plus aisés.