Alors que de nombreux Français sont happés par la série-événement « En thérapie », sur le petit écran, la Cour des comptes semble avoir capté l’air du temps en publiant mardi son rapport sur les parcours des patients dans la filière psychiatrique. Elle se dit favorable au remboursement par la Sécurité sociale des séances chez le psychologue libéral.
Quatre départements le font depuis deux ans, sous l’égide de l’Assurance-maladie. « Au vu des nombreux éléments déjà disponibles (20.000 patients impliqués, 200.000 séances remboursées), il paraît possible de généraliser cette expérimentation », estime la Cour. Cette mesure, qu’elle chiffre à 85 millions d’euros par an, permettrait de désengorger les Centres Médico Psychologiques (CMP), censés traiter des pathologies plus lourdes. « C’est grâce à la mise en place de solutions thérapeutiques éprouvées et de coût modéré que l’on évitera de recourir de manière abusive et souvent inefficace à des soins spécialisés, plus coûteux », plaide-t-elle.
Des CMP engorgées
En parallèle, elle propose de mettre un « filtre » à l’entrée des CMP, c’est-à-dire de rendre obligatoire un passage préalable par le médecin traitant – la « première ligne ». Les CMP, ainsi clairement basculées en « deuxième ligne », dans les soins spécialisés, en profiteraient pour se réorganiser au bénéfice du patient : ouverture élargie des horaires, soins non programmés, meilleure coordination des intervenants, visites à domicile.
Les listes d’attente pour être reçu par un « psy » en CMP sont souvent interminables. Or selon la Cour des comptes, qui a travaillé avec la psychiatre Vivianne Kovess, « au moins un tiers » des séances s’adressent à des patients qui pourraient parfaitement être soignés par la « première ligne ». Encore faudrait-il pour cela que le médecin généraliste puisse prescrire les soins d’un psychologue, « et, en tant que de besoin, disposer de l’appui d’un psychiatre, libéral ou hospitalier sectorisé », écrit la Cour.
Les gains d’une meilleure gradation des soins
La prise en charge des psychothérapies demeurerait encadrée. L’expérimentation actuelle est limitée aux majeurs de moins de 60 ans, souffrant de troubles légers ou modérés, n’ayant pas eu d’arrêt de travail de plus de six mois ou de pathologie psychiatrique chronique. Les suicidaires, les psychotiques et les victimes d’addictions sont exclus. Le généraliste évalue son patient à l’aide d’une échelle de l’anxiété et de la dépression. Il peut prescrire 10 séances chez un psychologue, mais il faut l’accord préalable de l’Assurance-maladie. Pour dépasser 10 séances, il doit demander l’avis d’un psychiatre.
Les gains potentiels d’une meilleure « gradation des soins psychiatriques » seraient considérables, estime la Cour des comptes, qui pointe des séjours « psy » trop longs à l’hôpital (un tiers dure plus d’un an), des arrêts de travail en pagaille et des admissions trop fréquentes via les urgences. Rien qu’en isolant les coûts directs, la prise en charge de la santé mentale coûte 25 milliards d’euros par an à la Sécurité sociale, dont une quinzaine de milliards de soins hospitaliers et en établissements médico-sociaux, et 400 millions d’euros de dépenses de psychiatres libéraux.
Un coût probablement supérieur à 85 millions d’euros
Dans sa réponse à la Cour, le ministre de la Santé ne ferme pas la porte à ces évolutions. « La mise en place d’un dispositif de première ligne reposant sur un binôme « médecin généraliste – psychologue » a constitué une priorité de l’année 2020 », vante Olivier Véran, en rappelant que la mesure 31 du « Ségur de la Santé » de juillet vise justement à développer de consultations par des psychologues, prises en charge par l’Assurance-maladie.
En pleine épidémie , des crédits ont été alloués aux CMP pour recruter 160 psychologues, et des travaux sont en cours pour renforcer les maisons de santé pluriprofessionnelles avec 200 psychologues équivalent temps plein, explique-t-il.
« Si ce chantier avance à grand pas, le sujet de la prise en charge par l’Assurance maladie de psychothérapies appelle des travaux complémentaires », nuance cependant Olivier Véran, pour qui l’impact budgétaire du remboursement des psychothérapies serait « probablement bien plus conséquent » que 85 millions d’euros.
Quant au repositionnement des CMP en deuxième ligne, le ministre l’approuve, mais estime que les psychiatres et les CMP doivent rester en accès direct, « pour accueillir une partie de la population qui sinon, ne pourrait plus avoir accès à ces soins (personnes sans médecin traitant, jeunes adultes, précaires, migrants, sortants de détention etc.) ».