Ce n’est peut-être pas le grand soir de la protection sociale, mais c’est tout de même un vrai coup de balai que propose le Conseil d’Etat. Le 28 octobre, l’institution dirigée par Bruno Lasserre a présenté au Premier ministre ses préconisations pour toiletter une trentaine des prestations sociales sous conditions de ressources, représentant plus de 120 milliards d’euros par an.
Il s’agirait d’harmoniser et simplifier la définition des « bases ressources » qui servent à apprécier le niveau de vie des ménages et à réserver certaines aides aux moins fortunés. On touche aux pierres angulaires de la protection sociale : les aides au logement (17 milliards d’euros, 6,6 millions d’allocataires), le RSA (11,3 milliards), la prestation d’accueil du jeune enfant (11 milliards), l’allocation adulte handicapé (9,7 milliards) entre autres.
Non-recours et judiciarisation
Aujourd’hui, « il existe autant de manières de définir les ressources des allocataires, et donc autant de bases ressources que de prestations », constatent les juges dans l’étude publiée ce mercredi. Ainsi, le patrimoine ou les aides des proches peuvent être ou non intégrés, et de manière variée. Même la notion de revenu salarial diffère selon les cas : l’abattement fiscal de 10 %, les tickets-restaurants, l’aide à la mutuelle, etc. peuvent être ou non pris en compte.
Cette complexité provoque du non-recours, car elle rebute les administrés et laisse croire à certains à tort qu’ils dépassent les seuils d’éligibilité. Elle est aussi source d’erreurs, voire de litiges , notamment quand l’administration cherche à récupérer des indus.
Ainsi, en 2019-2020, les contentieux ayant connu la plus forte progression devant le Conseil d’Etat étaient liés à des dispositifs sous conditions de ressources : droit au logement opposable, revenu de solidarité active (RSA), indus d’aides au logement (APL). « L’administration n’a pas toujours le temps d’expliquer les motifs de ses décisions. Par conséquent, on va devant le juge pour comprendre », remarque Philippe Josse, le président du groupe de travail qui a élaboré l’étude.
Cette diversité des bases ressources est parfois justifiée par le souci d’atteindre plus précisément la cible, mais elle résulte aussi d’un empilement des dispositifs au fil du temps, sans cohérence administrative. « Entre l’aide juridictionnelle, le RSA, les aides des collectivités, c’est vraiment un sujet interministériel qui appelait un regard extérieur », insiste le rapporteur.
Deux types de bases ressources
Le Conseil d’Etat préconise donc de ne conserver que deux types de bases ressources. Il y aurait d’abord une famille « fiscale », fondée sur l’avis d’imposition, pour les prestations familiales sous conditions de ressources, certains minima sociaux (handicap, chômeurs en fin de droits), des dispositifs ponctuels (chèque énergie, aide juridictionnelle, bourses) et les prestations ou tarifications sociales que proposent certaines communes (crèche, cantine…). Inutile dans cette famille de mettre fin à la diversité des bases ressources, puisqu’il suffit d’indiquer la bonne ligne de la feuille d’impôt pour déclarer comme il faut.
Il faudrait ensuite faire converger les dispositifs qui ne se réfèrent pas directement à l’avis d’imposition. La nouvelle base ressources harmonisée inclurait l’aide sociale légale attribuée par les départements, aujourd’hui contraints de se débrouiller pour définir le périmètre de la base ressources, ainsi que le RSA, qui prend en compte les revenus en temps quasi-réel (tous les trimestres), la prime d’activité, la complémentaire santé solidaire et le minimum vieillesse, qui présente la particularité d’être fondé sur le salaire brut, cotisations sociales incluses.
Pas de perdants et pas de débours
La direction de la Sécurité sociale pourrait être désignée comme chef de file pour mener à bien ce projet, suggère le Conseil d’Etat. « Cette réforme sans enjeu politique immédiat a suscité beaucoup d’intérêt dans les administrations », se félicite Philippe Josse, qui reconnaît volontiers que « ce n’est pas un sujet de fin de quinquennat » tant il est vaste.
« Notre proposition vise à ne pas créer de perdants, et si elle coûte aux finances publiques, ce sera au maximum quelques centaines de millions d’euros, moins de 1 % des sommes en cause », fait-il valoir. La situation financière précaire des personnes concernées imposait de ne pas chercher à harmoniser par le bas les prestations. Mais, inversement, l’ampleur des montants en jeu « interdit une harmonisation généralisée par le haut », pour des raisons de soutenabilité budgétaire, souligne l’étude.
Pourquoi ne pas avoir une base de ressources unique ? « Nous esquissons la possibilité de mettre en oeuvre un jour un jardin à la française totalement ordonné, mais ce ne sera pas avant dix, quinze ans, et cela suppose que l’Etat en ait les moyens et qu’il y ait du grain à moudre », explique Philippe Josse. Un tel grand Meccano ne pourrait en effet s’opérer que par le haut, ce qui coûterait des milliards.