Dans un projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le diable se cache souvent dans les détails. Celui en cours d’examen au palais du Luxembourg le confirme s’il en était besoin. L’histoire a commencé à l’Assemblée par un discret amendement gouvernemental voté dans le cadre de l’examen du PLFSS 2022 que les sénateurs ont détricoté dans la soirée de vendredi.
Déposé le 23 octobre peu après minuit, sachant que les députés ont achevé la discussion de ce texte à 1 h 30 du matin, l’amendement du gouvernement donnait aux plateformes de mobilité le droit de négocier pour leurs livreurs ou VTC une protection sociale complémentaire.
En catimini
Selon plusieurs sources, l’initiative aurait émané directement de Matignon, ni le ministère du Travail, ni celui des Transports, ni même celui de la Santé n’y auraient été associés. Les organisations de travailleurs de plateformes n’ont pour leur part été ni consultées ni même informées. « Le fruit du lobbying discret des plateformes », grince le représentant de l’une d’elles.
Le véhicule choisi par le gouvernement apparaît en tout cas assez surprenant puisqu’en parallèle au PLFSS, le Parlement examine en ce moment le projet de ratification d’une ordonnance dont l’objet est, justement, la création d’un dialogue social entre les plateformes et les représentants des livreurs à deux roues et VTC qui seront prochainement élus. Le sujet est d’ailleurs inscrit à l’ordre du jour du Sénat lundi.
L’affaire aurait pu être réglée discrètement sans la veille législative organisée par le syndicat Indépendants.co, qui a alerté ses homologues. Tous se sont alors mobilisés pour bloquer l’initiative. Ils n’ont en effet cessé depuis des mois d’alerter sur le fait qu’ils « excluent fermement d’inclure la protection sociale dans les futurs objets du dialogue », rappelle la chercheuse Odile Chagny, du réseau européen de chercheurs et acteurs de l’économie de plateforme Sharers & Workers.
« Si la protection sociale d’un indépendant est conditionnée au chiffre d’affaires réalisé sur les plateformes, le travailleur, bien que juridiquement indépendant, se trouve en situation de dépendance sociale », dénonce Hind Elidrissi, la présidente de Indépendants.co, qui souligne que « la protection sociale d’un indépendant doit lui être rattachée en propre, indépendamment de ses donneurs d’ordre ou clients ».
Le début de création d’un tiers statut
Les syndicats ont vu en outre dans l’amendement gouvernemental un début de création d’un tiers statut – au côté de celui de salarié et de celui d’indépendant – dont ils ne veulent pas. Ce tiers statut a pourtant été enterré par plusieurs rapports commandés par l’exécutif, à commencer par celui rédigé par Bruno Mettling sur la représentation des travailleurs des plateformes numériques à l’origine de l’ordonnance examinée lundi par les sénateurs. La protection sociale « doit se négocier au niveau national », avait écrit l’ancien DRH d’Orange, dont le gouvernement a repris la proposition d’organiser une élection nationale .
Auditionné par la présidente de la commission des Affaires sociales du Sénat dans le cadre du PLFSS, celui qui va être appelé à présider la future Autorité des relations sociales des plateformes a confirmé qu’il ne lui paraissait « pas opportun d’intégrer la protection sociale dans les thèmes du dialogue social ».
Amendement de la commission
Lors du débat au palais du Luxembourg, vendredi soir, le sénateur communiste, Pascal Savoldelli, a condamné une mesure qui conduirait à « des travailleurs ni indépendants ni salariés, misérables toute leur vie ». La rapporteure a pour sa part dénoncé un « cavalier social », c’est-à-dire des dispositions qui n’ont pas de lien avec le financement de la Sécurité sociale et qui encourraient la censure du Conseil constitutionnel.
Les sénateurs ont adopté un amendement de la commission des Affaires sociales supprimant la possibilité pour les plateformes de négocier une protection sociale complémentaire mais conservant un autre point : l’ouverture de l’accès au droit d’option pour le régime général de Sécurité sociale en cas de rémunération de moins de 1.500 euros par mois prévue par l’article L 311-3 du Code de la Sécurité sociale. Contre l’avis du gouvernement représenté par Adrien Taquet qui a persisté et signé à défendre ce qui constitue selon lui « une amélioration pour les travailleurs de plateforme […] travaillé de concert avec Elisabeth Borne et son administration ».