Président des riches ou du « quoi qu’il en coûte » ? Depuis plusieurs semaines, le gouvernement martèle, travaux d’évaluations à l’appui, que le quinquennat d’Emmanuel Macron aura débouché sur des gains de pouvoir d’achat pour tous, les plus importants allant aux catégories populaires.
Mais une nouvelle étude indépendante vient relancer le débat, renvoyant le chef de l’Etat aux controverses du début de son mandat sur ses « cadeaux » fiscaux faits aux plus riches. Si le porte-monnaie de pratiquement tous les Français a bien bénéficié des cinq années écoulées, les principaux gagnants seraient les ménages les plus aisés (1 %, voire 0,1 %), selon une étude publiée ce mardi par l’Institut des politiques publiques (IPP).
Ce nouveau document va trouver de l’écho, alors que le thème du pouvoir d’achat est devenu central dans la campagne présidentielle, avec la flambée des prix de l’énergie et la sortie de crise économique. Pour vanter son bilan en la matière, Bercy avait dégainé fin septembre un premier bilan du quinquennat , en marge de la présentation du budget pour 2022 : selon les calculs de la Direction du Trésor, effectués par déciles, le revenu disponible de tous les ménages français a progressé entre 2017 et 2022, les gains les plus importants allant aux 10 % les moins riches dans la population (+4 %, contre +2 % pour les 10 % les plus aisés).
Différences avec Bercy
Dès lors, la contre-expertise de l’IPP était attendue. Depuis 2017, l’institut s’est fait une spécialité d’évaluer les effets des mesures prises à l’occasion des différents budgets. Son bilan à l’issue du quinquennat est à la fois proche et éloigné de celui de Bercy : s’il y a bien une « hausse globale de revenu disponible, concernant presque tous les centièmes de niveau de vie » avec un gain moyen de +1,6%, l’IPP montre toutefois que l’augmentation est plus forte pour le 1 % des ménages aisés (+2,8 %), et encore supérieure pour la part des 0,1 % les plus riches (+4,1 %). Elle est en revanche inférieure à +1,5 % si on élargit la focale aux 10 % les plus aisés.
Pour le reste de la population, les gains sur cinq ans sont plutôt compris entre +1,3 % et environ +2 %, avec des bosses pour certaines classes populaires en début de distribution de l’échelle des revenus. En revanche, les 5% de Français les moins riches auraient perdu durant ces 5 ans, jusqu’à -0,5%. Et l’écart entre les deux extrêmes de la distribution de revenus est encore plus fort si l’on regarde les montants gagnés par chacun, et non l’évolution en pourcentages. «Il faut faire preuve de prudence sur l’interprétation de la situation de ces premiers centièmes», souligne toutefois Paul Dutronc-Postel, un des auteurs de l’étude, avec certaines populations comme des indépendants s’y trouvant de façon transitoire.
L’exécutif se consolera en constatant en revanche que pour la seule année 2022, les mesures décidées profiteront bien aux 1 % des ménages les plus pauvres (+3 % pour leur revenu disponible), contre +0,3 % pour les 1 % les plus riches du fait de l’effet des mesures anti-flambée des prix de l’énergie .
Méthodologies différentes
Pourquoi de telles divergences entre l’IPP et Bercy ? Elles tiennent à des différences d’hypothèses, forcément sujettes à discussions. L’IPP n’a pris en compte que les mesures décidées durant le quinquennat – et pas celles décidées avant mais qui se sont appliquées pendant (généralisation du chèque énergie, revalorisation du RSA, crédit d’impôt emploi à domicile) – en tenant compte par ailleurs de leur montée en charge à venir. Ce qui fait que la suppression totale de la taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés est comptabilisée, quand bien même elle n’interviendra qu’en 2023, ce que ne faisait pas Bercy.
Autre différence parmi d’autres, l’exécutif estime que la hausse de la fiscalité du tabac pèsera moins sur les ménages les plus pauvres, tablant sur une baisse plus importante du nombre de fumeurs.
Au-delà de ces querelles méthodologiques, cette étude de l’IPP est aussi intéressante pour ce qu’elle révèle des cinq années écoulées. Emmanuel Macron avait fortement insisté sur la valeur travail lors de son allocution la semaine dernière , non sans fondement au vu de l’étude de l’IPP : ainsi, les ménages actifs sont tous gagnants sans exception, avec un bénéfice moyen de +3,5 %. Le gain en bas de l’échelle des revenus n’est d’ailleurs pas très différent de celui enregistré par les plus riches. Il faut y voir les effets de la forte revalorisation de la prime d’activité ou de la bascule des cotisations sociales vers la CSG.
Tableau contrasté pour les retraités
Pour les retraités, le tableau est très contrasté : les gains sont massifs pour les ménages les moins aisés (grâce à la revalorisation du minimum vieillesse) alors que les gains sont plus maigres pour les classes moyennes. En revanche certains retraités peu aisés (impactés par la non-revalorisation des pensions en 2019 et 2020) et ceux très aisés (touchés par la hausse de CSG) y perdent.
La lecture est encore plus compliquée, si on essaye de voir quel est le bilan de l’exécutif en matière de revalorisation des prestations sociales : il peut y avoir des effets dans deux sens opposés (avec par exemple des gains grâce à la hausse de la prime d’activité, et des pertes sur les APL), si bien que l’IPP parle de « forte hétérogénéité » de situations au sein d’un groupe de même revenu.
Une situation que l’on constate également en regardant la part de gagnants et de perdants pour chaque classe sociale : on constate entre environ 75 % (chez les plus pauvres) et 25 % (pour la classe moyenne et les plus riches) de perdants à l’issue de ce quinquennat. Il n’y a pas d’absolue clarté, ce qui explique sans doute que l’exécutif ait tant de mal à convaincre des effets concrets de sa politique en matière de pouvoir d’achat.