En novembre 2012, la politique de l’offre s’invitait dans le débat public français à l’occasion du rapport sur la compétitivité de l’industrie française remis par Louis Gallois à François Hollande. Plus de neuf ans plus tard, celle-ci reste toujours une priorité aux yeux de Bruno Le Maire, qui plaide même pour une étape supplémentaire lors du prochain quinquennat, avec de nouvelles baisses d’impôts et de nouvelles baisses de charges pour les entreprises.
« Nous avons jeté les bases de la reconquête industrielle pendant cinq ans, mais cela ne suffira pas. Il va falloir faire davantage et plus vite avec les mobilisations de tous les acteurs », a expliqué ce vendredi le ministre de l’Economie et des Finances lors de la présentation de ses voeux à la presse.
Ce plaidoyer intervient alors que la balance commerciale française – malgré ces neuf années de politique de l’offre – vient de connaître en novembre un nouveau déficit record qui annonce un millésime 2021 particulièrement dégradé. La situation inquiète à Bercy. « C’est la conséquence d’une désertion industrielle à laquelle nous avons assisté depuis 30 ans », a jugé Bruno Le Maire, mettant dans le même sac « le manque de courage » des responsables politiques antérieurs et les chefs d’entreprise des années 1980 et 1990 qui auraient trop cédé à la tentation de la délocalisation.
Réforme de la fiscalité
A en croire l’inspirateur d’un des personnages principaux du dernier livre de Michel Houellebecq, les choses auraient commencé à changer avec le quinquennat actuel. « Nous avons fait les réformes fiscales, la simplification administrative et lancé un plan d’investissement de 30 milliards », a plaidé le ministre de l’Economie. Pas suffisant toutefois pour le locataire de Bercy, qui dit avoir fait de la « reconquête industrielle » une « obsession ».
Pour y parvenir, Bruno Le Maire préconise donc une nouvelle étape dans la politique de l’offre. Cela passerait par de nouveaux efforts dans l’innovation et la formation. Mais il s’agirait surtout d’opérer une amplification des mesures déjà prises. Après le CICE voté sous François Hollande et transformé en baisse de charges pérennes sous Emmanuel Macron, le locataire de Bercy milite ainsi pour de nouvelles baisses de cotisations au-delà du seuil actuel de 2,5 SMIC.
Manque de compétitivité
« La France est compétitive désormais pour ses ouvriers, mais pour les ingénieurs nous sommes complètement largués. Le coût de la main-d’oeuvre qualifiée et très qualifiée est devenu un vrai obstacle dans les décisions d’investissements de grands groupes », explique-t-on à Bercy. Une analyse qui rejoint celle de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie, dont le président Eric Trappier réclamait récemment « d’aller jusqu’à des rémunérations proches de 3 à 4,5 fois le SMIC, comme le rapport Gallois le préconisait ».
L’autre levier reste la fiscalité. Le ministre estime qu’« il faut poursuivre la baisse des impôts de production et réfléchir à la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) ». Décidée en 2020, dans le cadre du plan de relance, la diminution de certains impôts qui pèsent sur les facteurs de production des entreprises, pour un montant de 10 milliards par an, n’a pas permis de résorber totalement l’écart avec les pays concurrents. Selon l’institut Rexecode, environ 30 milliards de baisse supplémentaire seraient nécessaires pour se comparer à la moyenne européenne, et même 60 milliards pour recoller à l’Allemagne. L’UIMM réclame une baisse de 30 à 35 milliards.
Le problème des collectivités locales
Par quoi commencer ? La poursuite d’une baisse de la contribution sur la valeur ajoutée (CVAE), qui a été divisée par deux à compter de cette année, est sans doute la solution la plus simple. Il n’en reste pas moins que ce prélèvement n’est pas celui que les entreprises jugent le plus handicapant, et il faudrait en outre se lancer dans des négociations compliquées avec les collectivités locales, qui perçoivent cet impôt.
Quant à la C3S évoquée par Bruno Le Maire, elle est stigmatisée par un certain nombre d’économistes. Cette contribution assise sur le chiffre d’affaires et acquittée aujourd’hui uniquement par les plus grandes entreprises « est un impôt en cascade et décourage les entreprises d’installer des chaînes de production en France », pointe Rexecode. Dans une étude de 2019, le Conseil d’analyse économique, rattaché à Matignon, estimait que la suppression intégrale de la C3S réduirait à elle seule d’environ 5 milliards d’euros (soit 14 %) le déficit de la balance commerciale du secteur manufacturier. Plutôt timide en matière de compétitivité dans son programme présidentiel , Valérie Pécresse vise elle aussi une suppression de la C3S.
« S’il devait y avoir une nouvelle baisse des impôts de production, il faudrait en échange des engagements des entreprises » en faveur de la réindustrialisation, prévient-on à Bercy. Un geste fiscal pourrait aussi aller de pair avec une réduction des aides aux entreprises – plus élevées en France qu’en Europe, même si la suppression du crédit d’impôt recherche (la niche fiscale la plus coûteuse, à 7 milliards d’euros en 2022) est exclue. « Engager une réforme du crédit d’impôt recherche maintenant, c’est bloquer toute décision d’investissement des entreprises pendant plusieurs années », prévient-on au ministère.