3928, les quatre chiffres qui ont changé la lutte contre les discriminations

La plateforme anti-discrimination créée le 12 février 2021 sous l'égide du Défenseur des droits va fêter son premier anniversaire. En un an, elle aura enregistré 14.000 appels et conduit au traitement de 7.433 dossiers, jouant ainsi un rôle de révélateur sur les discriminations d'origine.


« Bonjour, je vous appelle parce que voilà, j’étais très forte, j’ai perdu du poids et c’est là qu’ont commencé les méchancetés de mon supérieur qui m’a dit qu’avant j’étais vachement grosse, m’a fait des réflexions sur ma façon de m’habiller… Après j’ai été enceinte, avec difficultés et en arrêt parce que ma grossesse était à risque et il m’a contactée régulièrement pendant ce temps. Depuis que je suis rentrée de congé maternité, il me met sous pression. Il veut me pousser à la démission. »

C’est avec une voix chargée d’émotion que jeudi matin, cette jeune femme que nous appellerons Nathalie*, a composé le 39 28 pour raconter d’un seul trait son histoire. A l’autre bout du fil, Bruno*, un écoutant de la plateforme anti-discriminations, qui fêtera son premier anniversaire samedi prochain.

C’est en effet le 12 février 2021 que s’est concrétisé l’engagement de créer cette plateforme, pris par Emmanuel Macron à la suite du passage à tabac du producteur de musique Michel Zecler fin 2020. Depuis lors, dans l’immeuble qui accueille le Défenseur des droits, au dos des Invalides, sept juristes experts en droit de la discrimination répondent aux appels, du lundi au samedi, de 9 heures à 18 heures.

Hausse de 26 % des saisines

Avoir un numéro de téléphone dédié à ce sujet n’est pas une idée tout à fait nouvelle. Au mi-temps des années 2000, la Haute autorité de lutte contre les discriminations , qui a été fusionnée en 2011 avec le médiateur de la République pour donner naissance au Défenseur des droits , avait lancé un numéro vert. Après cinq ans de montée en charge, le nombre de sollicitations avait fini par frôler les 12.500.

C’est moins que le chiffre atteint par la plateforme anti-discriminations en douze mois. Au 31 janvier, le Défenseur des droits a recensé quelque 14.000 contacts qui ont donné lieu pour moitié à la création de dossiers et leur nombre, 7.433, est en hausse de 26 % par rapport à 2020, sachant que comme Nathalie, la moitié des personnes se sont adressées à la plateforme pour un problème lié au travail.

Le téléphone est la voie la plus utilisée. 11.000 personnes ont appelé le 39 28. Mais s’y sont ajoutés plus de 3.000 tchats, accessibles via le site antidiscriminations.fr. « Certains préfèrent parler à quelqu’un, d’autres écrire », explique Bruno, arrivé après dix ans d’expérience sur la plateforme généraliste du Défenseur des droits qui répond au 09 69 39 00 00.

« Des bouteilles à la mer »

Le service anti-discriminations, dont il est le référent, est ouvert du lundi au vendredi de 9 heures à 18 heures. Et en dehors de ces horaires, le tchat permet de laisser un message. « Certains tickets que l’on découvre le matin sont comme des bouteilles à la mer », explique Archibald, l’un des juristes.

Quel que soit le média de contact choisi, il y a une constante : les écoutants de la plateforme anti-discriminations ne sont pas minutés. Les appels téléphoniques durent en moyenne 20 à 25 minutes. Il faut bien cela pour identifier les problèmes et commencer à les qualifier. « Il ne s’agit pas de répondre à une simple demande d’information, cela impose d’y consacrer du temps », souligne la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui insiste aussi sur la protection des personnes qui la saisissent, alors que souvent les appelants expriment une peur de représailles.

« On prend le temps de mettre en confiance, de laisser parler », explique sa collègue Clarisse*. Dans le cas de Nathalie, par exemple, au fil de la conversation elle a confié que la pression est montée d’un cran quand elle s’est plainte des réflexions récurrentes à son directeur qui a pris sa défense, ou que quand elle lui a annoncé sa grossesse, son supérieur lui a dit que ce n’était pas le bon moment. Les répondants prennent alors soin de poser des mots sur les situations vécues : « Ce n’est pas à votre employeur de décider si c’est le moment d’avoir un enfant ».

Faire émerger les faisceaux d’indices

Le souci de Nathalie, elle l’a confié à Archibald, c’est l’absence de traces écrites et la conviction que du fait de l’ambiance quasi-familiale chez son employeur, les salariés témoins d’agressions verbales ne voudront pas parler. « Beaucoup de gens pensent qu’ils n’ont pas de preuves et qu’ils ne peuvent donc rien faire », commente Bruno.

C’est tout l’art des membres de la cellule anti-discriminations de savoir par leurs questions faire émerger les faisceaux d’indices. « Est-ce que des démarches d’évolution vous ont été refusées ? » A cette question, Nathalie répond qu’une formation lui a été refusée à son retour de congé maternité.

Parfois, aussi, un sujet différent de l’objet initial de l’appel émerge. Ce père téléphonait parce que l’employeur de son fils ne mettait jamais ce dernier sur des chantiers proches de son domicile. Il suspectait à tort une discrimination d’adresse. Mais il s’est avéré que le jeune homme avait été victime d’un accident du travail, orientant vers la question de la santé. « Cela arrive souvent qu’il faille creuser pour identifier le véritable critère de discrimination », explique Archibald. Parfois aussi, il n’y a pas de sujet et il faut tout le tact des écoutants pour l’expliquer et, éventuellement, réorienter les personnes vers d’autres organismes.

Agressions verbales

Comme Nathalie, Samia, second appel de cette matinée de la fin janvier, a trouvé le contact de la plateforme sur internet. Cette musulmane qui porte un foulard, « mais pas dans l’enceinte scolaire, bien sûr », a dû quitter il y a deux ans le groupe scolaire privé catholique dans lequel elle travaillait. « Je n’ai pas porté plainte, il faut payer un avocat et je n’ai pas d’argent. Mais depuis qu’ils ont mis fin à mon contrat, ça tourne dans la tête ». Et jeudi matin, elle a sauté le pas et composé le 39 28.

Elle raconte les agressions verbales sur le parking du personnel : « vous partez, vous n’avez rien à faire ici ! », lui a hurlé une enseignante, la même qui, devant tout le personnel, n’a pas hésité à affirmer que « de toute façon, les musulmans sont des envahisseurs ». Samia évoque aussi le racisme subi par des élèves ou encore ce collègue qui a fini par jeter l’éponge. Elle a travaillé pour cet ensemble scolaire trois ans… Jusqu’à ce qu’elle découvre, le jour de la prérentrée de septembre 2020, que son contrat n’était pas renouvelé.

Il y a assez d’éléments pour saisir le Défenseur des droits, estime Terry*, qui a pris l’appel. Si Nathalie a préféré entrer en contact avec un des 530 représentants du Défenseur des droits présents sur le territoire – « certains préfèrent rencontrer quelqu’un » -, Samia, elle, va être aidée par la juriste. Elle va rédiger et lui envoyer par mail une « présaisine » récapitulant les faits mentionnés qu’elle corrigera et complétera si elle le souhaite avant de saisir le Défenseur des droits, ceux qui ont des difficultés particulières avec le numérique pouvant à ce stade aussi compter sur l’aide d’un juriste. Un appui précieux qui facilite grandement la démarche.

S’armer de patience

Mais cette étape franchie, il lui faudra s’armer de patience, le temps d’instruire le dossier. Ça se passe à quelques mètres de la plateforme. « Nous faisons une première analyse et demandons des éléments complémentaires que la personne qui nous a saisis a 30 jours pour nous fournir », explique Robert, l’un des trois juristes de la direction de la recevabilité et de l’accès aux droits qui consacrent tout leur temps aux dossiers de la plateforme et croulent sous les saisines.

Vient ensuite l’examen minutieux de l’affaire pour déterminer s’il y a lieu de la traiter ou pas. Ceci tranché, en application du principe du contradictoire, « les faits sont portés à la connaissance du mis en cause qui a un mois pour répondre », précise Robert. Après avoir écouté les deux parties, les juristes commencent systématiquement par voir s’il peut y avoir lieu à un règlement amiable. « Tout le monde n’est pas de mauvaise volonté », souligne Claire Hédon.

Cette issue n’a rien d’exceptionnel puisque « 60 % des règlements amiables engagés aboutissent favorablement », précise-t-on chez le Défenseur des droits. Cela a par exemple été le cas de cette entreprise qui avait écarté une candidature de nationalité étrangère, arguant d’une obligation de sécurité. Cette obligation n’était en réalité pas fondée et l’employeur l’a admis sans difficulté. La procédure amiable est en train de se conclure par une transaction.

60 % de règlements amiables

La saisine de Thierry a aussi fait l’objet d’un traitement amiable. Cet habitant du centre de la France a agi non comme victime, mais comme témoin. Il a découvert au printemps dernier que sa ville proposait des jobs d’été aux jeunes sous condition de « nationalité française ». « Je ne souhaitais pas politiser l’affaire, créer une polémique mais régler le problème », explique-t-il. Après son appel à la plateforme, la mairie a été contactée et a aussitôt reconnu son erreur. Thierry en a été informé et pourra vérifier cette année qu’elle respecte son engagement.

Un cas d’école : lors de la location d’un logement, le propriétaire ne souhaitait pas louer à des personnes d’origine maghrébine, préférant « soit des blancs traditionnels, soit des Chinois, soit des Japonais ou des Coréens […], toute l’Afrique, c’est non ».

La médiation n’est pas toujours possible, tant s’en faut. La loi organique de 2011 impose au Défenseur des droits de saisir le procureur près le tribunal judiciaire lorsque des « faits portés à sa connaissance sont constitutifs d’un crime ou d’un délit ». C’est l’objet de la première décision sur une affaire arrivée via la plateforme que vient de signer Claire Hédon.

Un cas d’école

Ce dossier est un cas d’école. Il s’agit d’une personne qui s’est vue refuser la location d’un logement car le propriétaire ne souhaitait pas louer à des personnes d’origine maghrébine, préférant « soit des blancs traditionnels, soit des Chinois, soit des Japonais ou des Coréens […], toute l’Afrique, c’est non », comme en atteste l’enregistrement de la conversation téléphonique. Ce particulier, contacté par mail par le Défenseur des droits, a confirmé ses allégations et fin 2021, dans sa réponse à la note récapitulative qui lui a été adressée, il a encore persisté. Pour louer son logement, a-t-il écrit, il « doit prendre en considération [l’]environnement conservateur de la droite traditionnelle naturellement hostile aux minorités » de l’immeuble où il est situé et que seuls « 2 profils […] marchent : un/une étudiant(e) bien élevée et d’une bonne famille française qui vient mettre son enfant dans une école privée à Paris ou dans une bonne faculté […] ; un Asiatique qui travaille dur et ne posera pas de problème ».

Les onze autres décisions qui doivent être signées très prochainement portent sur une grande diversité de sujets : handicap, âge, harcèlement sexuel, sexe, origine. Ce dernier motif mérite qu’on s’y arrête, tant jusqu’à présent, il apparaît sous-représenté dans les affaires de discrimination.

Convaincre les victimes

Parmi les dossiers en train d’être finalisés, il y a celui d’un homme qui, après avoir reçu une fin de non-recevoir sur sa candidature à un emploi, a renvoyé le même CV, mais sans photo, et a obtenu alors un rendez-vous. C’est peu connu mais les associations ne sont en effet pas les seules à pouvoir organiser un testing en matière de discrimination. Pour peu qu’ils respectent la méthodologie, décrite dans une fiche pratique disponible sur le site du Défenseur des droits, les auto-testings sont aussi autorisés. Ce moyen se révèle précieux pour prouver une discrimination d’origine à l’embauche notamment.

Un rapport du Défenseur des droits soulignait en juin 2020 que « les données officielles et de nombreux rapports publics confirment l’ampleur de ces discriminations [liées à l’origine] dans la société française et leur dimension systémique ». Face à des données statistiques « sans appel », il regrettait qu’elles « ne bénéficient pas de la dynamique positive observée depuis quelques années dans la lutte contre les discriminations fondées sur le genre ou l’orientation sexuelle ».

Le premier bilan de la plateforme anti-discriminations laisse à penser qu’elle pourrait jouer un rôle de révélateur en la matière, sa facilité d’accès, la simplification de la saisine du Défenseur des droits pouvant aider à convaincre les victimes de sauter le pas et lutter contre le non-recours aux droits . Alors que jusqu’à présent le handicap était de loin le plus invoqué dans les interpellations du Défenseur des droits, il arrive désormais derrière l’origine qui a représenté 43 % des contacts avec elle sur un an. Selon le dernier rapport annuel du Défenseur des droits, seuls 13,3 % des contacts avaient concerné l’origine en 2020, soit quatre fois moins.


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