La troisième fois s’avère finalement être la bonne. Par deux fois, la cour d’appel de Paris avait repoussé sa décision dans l’affaire qui oppose le fonds activiste américain Elliott à l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) . Jeudi matin, elle a enfin rendu son verdict. Elle réduit la sanction prononcée en avril 2020 par le gendarme boursier de 20 millions à 18,5 millions d’euros, estimant que « l’interprétation de certaines des obligations du règlement général de l’AMF [qui auraient été violées, NDLR] ayant un caractère inédit, le comportement des mis en cause ne devrait pas être jugé avec la même sévérité que la violation délibérée d’une obligation établie et sanctionnée de longue date ». Mais sur le fonds, elle valide la décision, quasiment dans sa totalité.
Le hedge fund créé par Paul Singer a été condamné pour déclarations d’intention et de franchissement de seuil inexactes et tardives dans le cadre de l’OPA simplifiée de l’américain XPO sur Norbert Dentressangle en 2015, ainsi que pour entrave à l’enquête du régulateur.
Important pour la place de Paris
Extrêmement technique, ce jugement est important pour la Place de Paris . La nature des titres acquis pour grimper au capital du transporteur français est en effet la clé de cette affaire. Pour la première fois, la cour d’appel de Paris a dû se prononcer sur les effets de la loi de 2012. Laquelle stipule que tout dérivé – même ceux avec un dénouement en cash et pas seulement, comme par le passé, ceux avec un dénouement en titres – doit être intégré dans le calcul des seuils. Cette loi avait été adoptée après l’entrée masquée de Wendel au capital de Saint-Gobain, via des instruments dérivés.
Elliott a déclaré des positions en CFD (Contract For Difference) à dénouement en espèces alors que les transactions portaient en réalité sur des « equity swap ». Pour Elliott, les CFD et les equity swaps sont des instruments identiques. Mais pas pour l’AMF, ni pour la cour d’appel de Paris. Pour elles, ces déclarations erronées ne pouvaient reposer que sur la volonté manifeste de cacher ses intentions au marché.
La cour d’appel a aussi considéré que le fonds américain aurait dû déclarer plus tôt son intention de ne pas apporter ses titres Norbert Dentressangle à l’offre d’XPO. Elliott l’a fait le 9 juillet, mais il aurait dû le faire en juin, selon l’AMF, juste après avoir franchi les 2 % du capital du transporteur. Pour Elliott, cette obligation ne s’appliquait que si les titres étaient détenus en « dur » et non via des dérivés. Le code monétaire et financier stipule juste que celui qui franchit les seuils doit déclarer son intention sur les « titres acquis ». Pour l’AMF, le mot « titres » comprend les dérivés.
Interprétation possible et raisonnablement prévisible
La décision de la cour d’appel sur ce point était très attendue. Pour elle, si la question du périmètre de la déclaration d’intention revêtait un caractère inédit (du fait de l’introduction récente du principe d’assimilation des instruments dérivés aux actions), il n’en demeure pas moins que « cette interprétation faisait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles ». « Si le texte de l’AMF n’était pas clair, tant pis, vous auriez dû l’interpréter de la manière la plus contraignante possible », résume une source proche du dossier.
Dernier motif de sanction, le juge a estimé qu’Elliott avait commis un manquement d’entrave , et n’aurait pas fourni tous les éléments demandés par les enquêteurs en temps et en heure. Ce qu’Elliott conteste encore aujourd’hui.
Elliott regrette que « la Cour d’appel ait suivi l’interprétation de la Commission des sanctions concernant […] sa prétendue entrave à l’enquête ». « Ceci est d’autant plus regrettable que dans une décision du 28 janvier 2022, le Conseil constitutionnel a censuré le pouvoir de sanction de l’AMF en matière d’entrave en le déclarant contraire à la Constitution française. La décision de la Cour d’appel est donc fondée sur des dispositions qui ont été jugées inconstitutionnelles et qui sont désormais abrogées », ajoute-t-il. Autant dire que le fonds américain exercera très certainement l’ensemble des voies de recours à sa disposition.