Conformément à son engagement de transparence, le ministère de la Santé a publié ce mardi sur son site le rapport de l’enquête menée dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) d’Orpea. Les conclusions de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF) sur l’affaire Orpea sont ainsi rendues publiques et l eur caractère accablant se confirme.
Elles vont nourrir les quelque 80 plaintes de familles de résidents d’Ehpad d’Orpea qui étaient déjà lundi en cours de dépôt devant le parquet de Nanterre pour mise en danger de la vie d’autrui, non-assistance à personne en danger, voire homicide involontaire, violence par négligences et vol. Des 524 pages de ce volumineux rapport, expurgé néanmoins de son contenu couvert par le secret des affaires, on peut retenir principalement sept charges contre la gestion d’Orpea.
1· Priorité aux critères financiers
Foin de critères de qualité de prise en charge des résidents, « le pilotage des établissements donne la priorité à la performance financière », note la synthèse du rapport. Le système de primes semestrielles, qui peuvent atteindre jusqu’à 6.000 euros par an, et de bonus annuel des directeurs d’exploitation, les directeurs d’Ehpad, « accorde un poids dominant aux indicateurs financiers » et pour les directeurs régionaux, ce sont même les seuls.
2· Dépassement de la capacité d’accueil
Des consignes ont été données pour ne pas remplacer tous les postes dans des Ehpad pourtant en situation d’occupation maximale. Le rapport évoque « le dépassement récurrent de la capacité d’accueil autorisée, pratique identifiée dans 11 % des Ehpad du groupe en 2019 […]. Certains des plans d’actions consultés par la mission sur l’année 2019 invitent sans équivoque les directeurs d’établissement à y recourir », malgré les conditions de travail du personnel, déjà souvent en sous-effectif.
3· Documents financiers insincères
Priorité aux finances, donc, mais sont-elles exactes, au moins ? Même pas. « Les documents financiers obligatoires transmis aux tutelles par les Ehpad sont insincères », tranche le rapport. Une partie de l’agent public des forfaits soins perçus par les établissements est mise en réserve. « La part mise en réserve correspond à près d’un mois de rémunération de l’ensemble des personnels financés sur la section soins », ont calculé les enquêteurs. Cette mise en réserve a été de 20,1 millions d’euros en 2018, soit en moyenne 8,6 % du forfait soins attribué à Orpea cette même année. Puis sur ces 20 millions, seuls 6,8 millions ont été dépensés par l’entreprise conformément au code de l’action sociale, le reste a servi à des dépenses non conformes ou à la constitution d’excédents.
4· Charge de soins sans fondement
En plus de la mise en réserve, 91 % des Ehpad d’Orpea ont eu de 2017 à 2021 un objectif de dépenses prévisionnelles inférieur aux forfaits soins et dépendance prévus. Les états transmis aux agences régionales de santé (ARS) ne le faisaient pas apparaître, présentaient des emplois et une masse salariale différents des budgets internes et au total, ont imputé sans fondement 50 millions d’euros de charges à la section soins sur 2017-2020.
5· Remises de fin d’année
Les remises de fin d’année perçues par Orpea sur des achats faits avec l’argent public finançant les soins et la dépendance n’existent officiellement pas. Mais « la mission a analysé un échantillon de seize commissions représentant 67 % du montant total en 2020. Quatorze sont proportionnelles au chiffre d’affaires réalisé par les fournisseurs », relève le rapport qui calcule que cela aurait rapporté 13 à 18 millions sur la période 2017-2020.
6· Manque de protéines
Les repas manquent de viande. La comparaison aux recommandations de référence pour les personnes âgées « fait apparaître que les grammages utilisés par les cuisiniers des Ehpad Orpea sont significativement en-deçà de ces références pour les aliments protéiques (jusqu’à 42 % pour la viande) », tranche le rapport. De plus, une collation nocturne n’est pas systématique, si bien qu’au moins quatre ARS ont souligné des durées de jeûne nocturne supérieures au plafond recommandé de 12 heures.
7· Dysfonctionnements récurrents
Outre une gestion du personnel plus « dégradée » que la moyenne du secteur, le rapport relève « l’instruction écrite faite par le siège d’Orpea au réseau des Ehpad de ne pas transmettre certains documents budgétaires en cas de visite d’inspection » et les difficultés de la « présente mission sur les champs de la comptabilité et des achats ». Le rapport estime qu’il s’agit de «dysfonctionnements récurrents dont le suivi interne est imparfait » mais, tempère le document, « qui se retrouvent pour partie dans le reste du secteur des Ehpad. »