La conjoncture économique pourrait-elle devenir hors de contrôle ? La croissance française est au point mort, tandis que l’inflation poursuit son inexorable hausse . Selon les données de l’Insee, le PIB français a fait du sur place au premier trimestre 2022. Une stabilité qui défie les prévisions : l’institut prévoyait une croissance de 0,3 % sur la période. La Banque de France, qui misait sur 0,5 %, a finalement revu à la baisse ses prévisions, à 0,25 %, quelques semaines avant la publication de l’Insee.
Pourquoi l’augmentation des prix associée à un ralentissement de l’activité économique est-elle inquiétante ? Quelles en seraient les conséquences sur l’économie, et de quels outils disposons-nous pour sortir de ce cercle vicieux ? Les explications de CQFD.
1. Pourquoi la conjoncture économique inquiète-t-elle autant ?
Après le fort rebond de l’économie française à la suite de la série de confinements en 2020 (7 % de croissance en 2021), le coup d’arrêt est brutal. La guerre en Ukraine et la politique zéro Covid de la Chine – qui conduit à des confinements particulièrement stricts -, bousculent l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Ils provoquent ainsi une baisse de la production et une forte incertitude des entreprises comme des consommateurs, qui ajustent leurs dépenses. La consommation des ménages a reculé de 1,3 % au premier trimestre. Mais ce n’est qu’une partie du problème.
En parallèle, l’inflation – déjà poussée par la reprise économique amorcée en 2021 -, poursuit son ascension. Au mois d’avril, les prix ont augmenté de 4,8 % sur an en France , selon l’Insee. Ils sont tout particulièrement tirés à la hausse par les prix de l’énergie , qui ont bondi de 26,6 % au cours des douze derniers mois. Un tel niveau est une nouveauté : depuis la création de l’euro, l’inflation n’avait jamais dépassé la barre des 3 % annuels en France.
2. Qu’est-ce que la stagflation ?
Contraction de « stagnation » et d’« inflation », la stagflation désigne la cohabitation, durant plusieurs trimestres, d’une croissance très faible ou au point mort et d’une inflation forte. Le terme a fait son apparition dans les années 1970, face à la conjoncture économique défavorable qui s’est imposée dans les pays de l’OCDE.
Jusqu’alors, la plupart des économistes pensaient qu’il existait une relation inverse et stable entre l’inflation et le niveau de chômage. C’est la « courbe de Philips ». Elle se fonde sur le raisonnement selon lequel une augmentation de la demande de biens et services fait augmenter les prix et encourage les entreprises à investir et à embaucher, suscitant ainsi encore plus de demande. Durant les années 1950 et 1960, la banque centrale américaine a par exemple suivi ce raisonnement en injectant de l’argent dans l’économie dans le but de stimuler la demande de biens et services.
Une certitude bousculée par le choc pétrolier de 1973 à la suite de l’embargo des pays de l’OPEP sur le pétrole. Dans les pays de l’OCDE, « ce choc sur les prix des matières premières a entraîné une hausse des salaires, une inflation généralisée, et a perturbé la productivité, affectant profondément la croissance », détaille François Ecalle, président de Fipeco et conseiller maître honoraire à la Cour des comptes. Ce dernier fait un rapprochement entre le choc sur les matières premières de 1973 et celui qui pèse sur les prix du gaz aujourd’hui.
3. Pourquoi est-ce un cercle vicieux ?
Ces deux dynamiques – une croissance en berne associée à une inflation forte – représentent un paradoxe économique qui s’auto-entretient et auquel il est délicat de trouver une parade efficace sans risquer d’aggraver la situation. L’inflation et la croissance en berne ont toutes les deux un impact particulièrement négatif sur la consommation des ménages, alors que cet indicateur est considéré comme un des moteurs de l’économie française.
L’absence de croissance et les incertitudes qui pèsent sur la chaîne d’approvisionnement affectent l’investissement des entreprises, qui recrutent également moins et risquent de licencier davantage, provoquant une augmentation du chômage. « Le risque de déclenchement d’un tel cercle vicieux est très inquiétant », commente François Ecalle.
D’autant que les outils à notre disposition pour lutter contre l’inflation risquent en effet d’affecter négativement la croissance, et vice-versa. « On a eu beaucoup de mal à sortir de la stagflation des années 1970 : les Trente piteuses ont d’ailleurs fait suite aux Trente glorieuses », poursuit-il. « Ce qui nous a mis sur la bonne voie, c’est un contre-choc pétrolier : les prix du pétrole ont fini par baisser à la fin des années 1970 car on a développé d’autres sources d’énergie, dont le nucléaire. »
4. Quel impact sur l’économie ?
« En termes économiques, la croissance est en baisse et l’inflation en hausse. En termes humains, les revenus des gens sont en baisse et les difficultés augmentées », résume la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva. En plus de ses conséquences sur l’investissement des entreprises, la stagflation affecte la confiance que les consommateurs accordent à la monnaie : la valeur relative de leur épargne et de leurs salaires diminue du fait de l’augmentation du coût de la vie.
Sur le long terme, elle risque également de se traduire par un fort impact sur l’emploi et le niveau des salaires, et donc sur l’épargne. Sur les marchés financiers, le passage d’une conjoncture marquée par des taux d’intérêt bas et un niveau d’inflation maîtrisé, à une période de stagflation, est source de volatilité. Pour se prémunir de ses effets, les investisseurs et épargnants ont alors plus intérêt à se tourner vers des investissements plus risqués.
5. De quels outils dispose-t-on pour y répondre ?
La stagflation « pose un très gros problème de politique macroéconomique et met les décideurs face à un dilemme », souligne François Ecalle. En matière de politique monétaire, la réponse à l’inflation utilisée par les banques centrales est d’augmenter leurs taux d’intérêt. Problème : une telle stratégie risque de freiner encore davantage la croissance, en limitant la consommation et les investissements. D’autant que l’économie européenne ne semble pas encore être en situation d’excès de demande, puisqu’elle reste encore inférieure à son niveau d’avant la crise du Covid.
Sur le plan budgétaire, l’augmentation des aides publiques pour relancer l’activité économique aurait néanmoins pour effet d’encourager l’inflation. A l’inverse, une réduction des dépenses risque de se faire, cette fois, au détriment de la reprise de l’activité économique. « Tout l’enjeu est de doser correctement les politiques monétaires et budgétaires pour ne pas aggraver la conjoncture », pointe François Ecalle.
Qu’elle soit monétaire ou budgétaire, une réponse adéquate à un choc sur les matières premières semble particulièrement difficile à trouver. « Il faut accepter cette perte de pouvoir d’achat et espérer un contre-choc, peut-être en développant des énergies alternatives et en misant sur le nucléaire et le renouvelable. C’est la seule solution structurelle », suggère le président de Fipeco.