Des travailleurs indépendants pas comme les autres… C’est l’option qu’a choisie l’exécutif alors que la bataille juridique se poursuit dans les prétoires sur le statut salarié ou non des livreurs à vélo et VTC. Après moult rapports et une ordonnance, une nouvelle étape s’ouvre avec l’organisation, à compter de ce lundi et jusqu’au 16 mai, de premières élections professionnelles pour les travailleurs de plateforme de transport.
Quelque 120.000 électeurs – 84.000 livreurs et 39.000 chauffeurs – sont appelés à prendre part à un scrutin que la ministre du Travail Elisabeth Borne qualifie d’« historique ». Ils doivent pour cela avoir réalisé au moins cinq prestations par l’intermédiaire d’une plateforme de mise en relation entre juillet 2021 et décembre 2021.
Grand ordonnateur du scrutin
Le grand ordonnateur du scrutin est l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE),un établissement public chargé de réguler le dialogue social entre les plateformes et les travailleurs, créé il y a un peu plus d’un an. Il est présidé par Bruno Mettling, ancien DRH d’Orange et auteur du rapport sur la représentation des salariés de plateforme à l’origine de l’ARPE comme du scrutin.
Les travailleurs sont appelés à voter pour une organisation syndicale, à charge ensuite pour celles ayant fait plus de 5 % des suffrages exprimés de désigner trois représentants. « Dans un métier où il y a beaucoup de turnover, cela permet de garantir une continuité et un suivi », souligne Bruno Mettling. « Un scrutin sur liste aurait considérablement fragilisé les candidats, avec un risque de discrimination par les plateformes voire de déconnexion », souligne Odile Chagny, économiste à l’Ires et co-animatrice du réseau Sharers and workers.
Scrutin sur sigle
Les livreurs à vélo ou scooter auront le choix entre neuf organisations : tous les syndicats de salariés – la CFDT au travers de l’Union indépendants qu’elle a fondée, la CGT, la CFTC, l’UNSA, FO, Sud commerce et même la CNT – ainsi que la fédération des autoentrepreneurs (FNAE) et l’organisation patronale des transports routiers (FNTR). Mais pas le Clap. Ce collectif, qui bataille pour obtenir leur requalification des livreurs en salariés, a même des mots très durs sur le scrutin. Côté quatre roues, les chauffeurs auront le choix entre la CFDT, la CFTC, FO et l’UNSA ainsi que VTC de France et l’association des chauffeurs indépendants lyonnais (Acil).
La participation sera scrutée avec attention. « On sait qu’elle ne sera pas massive, on l’espère la plus satisfaisante possible », dut Bruno Mettling. A titre de comparaison, lors du dernier scrutin de représentativité syndicale chez les 5 millions salariés de TPE, elle n’avait pas atteint 5,5 %.
Au-delà de cet enjeu se pose l’efficacité de la voie choisie par la France – celle de conforter le statut de travailleur indépendant par un dispositif particulier dans un contexte européen pressant. Alors que les voies choisies sont très différentes selon les pays, comme le montrent les travaux de l’Observatoire des plateformes digitales, un projet de directive sur les travailleurs de plateforme prévoit d’instaurer une liste de critères déterminant une présomption de salariat, à charge pour la plateforme attaquée en justice de démontrer qu’il n’en est rien.
Voie atypique choisie par la France
Bruno Mettling espère aller vite et que « les négociations aboutissent dès la fin de l’année à des droits nouveaux pour les travailleurs ». Il « pressent que le premier sujet de discussion sera vraisemblablement le revenu minimum de la course, une priorité tant en termes économiques que de droits fondamentaux ». Il reste encore pour cela à désigner les représentants des plateformes.
Ce sera fait « avant à la fin de l’été », promet l’ancien DRH d’Orange. Le décret fixant les seuils de montant des rémunérations versées et de nombre de travailleurs inscrits est en cours de finalisation. Le président de l’Arpe salue la « mobilisation incroyable de la Direction générale du travail », avec en moins d’un an la rédaction de deux ordonnances et la publication d’une dizaine de décrets, la mise en place de l’ARPE et l’organisation des élections.