La crise ? Quelle crise ? Plombée par l’inflation et les difficultés d’approvisionnement, l’économie française continue d’embaucher… à tour de bras, ce qui relativise quelque peu les difficultés de recrutement dont se plaignent les employeurs. L’emploi salarié dans le secteur privé a encore progressé au deuxième trimestre, dépassant même et de très loin les prévisions. Entre fin mars et fin juin, il a augmenté de 0,5 %, soit 0,2 point de plus que sur les trois premiers mois de l’année. Au total, 102.500 postes supplémentaires ont vu le jour sur la période, selon une estimation provisoire de l’Insee publiée vendredi.
Pour mémoire, l’institut national statistique n’en attendait « que » 37.000 de plus dans sa dernière note de conjoncture de fin juin, basée il est vrai sur une hypothèse de croissance du PIB moindre que celle finalement observée (le PIB a progressé de 0,5 %, et non pas 0,2 % comme attendu).
Tertiaire marchand
Dans le détail, les effectifs hors intérim dans l’industrie ont très légèrement progressé (+3.100), seul secteur à ne pas avoir comblé son retard depuis la pandémie de Covid. Ils ont fait du sur place dans la construction. Comme depuis un an, c’est le tertiaire marchand qui sert de locomotive, avec près de 100.000 postes gagnés sur le trimestre (+0,8 %). « Ce dynamisme explique l’essentiel de la hausse totale de l’emploi salarié privé », souligne l’Insee.
Le tertiaire non marchand a également augmenté nettement : +0,7 %, soit +19.500 emplois, alors que l’institut statistique tablait sur une stabilité. L’enseignement privé a été particulièrement dynamique.
A noter que le travail temporaire, comptabilisé dans cette publication quel que soit le secteur dans lequel les missions sont effectuées, a perdu dans son ensemble 17.000 postes. Certains y verront un signe annonciateur de lendemains moins chantants pour l’emploi. Pas sûr. « On avait déjà constaté cela avant le Covid : après avoir atteint un pic, le recours au travail temporaire et aux CDD avait diminué », rappelle le chef de la division synthèse et conjoncture du marché du travail de l’Insee, Sylvain Larrieu.
CDI aux sommets
De fait, les employeurs peuvent privilégier les contrats longs dans un souci de fidélisation, quand bien même les perspectives économiques sont incertaines. C’est ce qu’a observé Prism’emploi, la fédération du travail temporaire, au moins dans le BTP . Le nombre d’embauches en CDI dépasse d’ailleurs toujours largement les 400.000 par mois depuis le début de l’année, un seuil jamais atteint avant le Covid, selon l’Urssaf.
La vigueur de ces chiffres de l’emploi n’a pas manqué d’étonner compte tenu du niveau d’activité tout de même assez faible au deuxième trimestre, l’essentiel de l’embellie ayant été alimentée par le dynamisme de l’hôtellerie, de la restauration et des transports . « Le rattrapage de l’activité s’est poursuivi au deuxième trimestre, notamment le tourisme international », abonde Sylvain Larrieu. Avec un bémol toutefois. « La crise est toujours là et se manifeste notamment par un nombre d’absences pour congés maladie toujours élevé ce qui affecte la durée de travail par salarié », note-t-il.
Economiste à l’OFCE, Eric Heyer ne cache pas être un peu perdu. A moins que le PIB ne soit sous-estimé (ce qui est possible), le ratio création d’emploi/croissance ne colle pas et traduit des pertes de productivité qui sont temporaires normalement. « On le constate en début de crise et la productivité repart avec l’activité. Là, cela dure depuis longtemps, peut-être parce qu’une partie de l’emploi est subventionnée, dans le cas des contrats d’alternance notamment », commente-t-il, alors qu’il s’attendait à une stabilisation, au mieux, de l’emploi sur le trimestre.
Les très bons chiffres de l’emploi depuis la sortie de crise sont peut-être aussi le contrecoup bénéfique du développement de l’activité partielle, poursuit Eric Heyer : pour en bénéficier, nombre d’employeurs ont dû déclarer des salariés qu’ils faisaient travailler au noir auparavant. Peut-être aussi parce que nombre de travailleurs détachés, qui ne sont pas comptabilisés dans l’emploi, ont été remplacés par des travailleurs français qui, eux, le sont.Ils n’en restent pas moins que tout cela est de bon augure à quelques jours de la publication, le 12 août prochain, du taux de chômage du deuxième trimestre. Pour rappel, il était de 7,3 % de la population active en moyenne sur les trois premiers mois de l’année. La baisse de 0,1 point attendue pour le printemps pourrait être plus marquée.
Réformes à venir
Pour donner un coup de collier supplémentaire, le gouvernement va lancer fin août ou début septembre son grand projet « France travail », promesse du candidat Macron . Il s’agit de faire en sorte que tous les organismes chargés de l’insertion des chômeurs – Pôle emploi, Missions locales, régions, départements ou encore associations – se réunissent en consortiums à une maille qui pourrait être celle du bassin d’emploi. Des expérimentations vont être décidées par ailleurs pour renforcer l’accompagnement vers l’emploi des bénéficiaires du RSA.
Une autre concertation sera aussi lancée à la rentrée avec les partenaires sociaux pour aller plus loin sur la réforme de l’assurance-chômage. Outre une refonte de la gouvernance de l’Unédic, l’exécutif veut que les règles d’indemnisation collent mieux à la conjoncture. « Quand ça va bien, on durcit les règles et, quand ça va mal, on les assouplit », a récemment déclaré le ministre du Travail, Olivier Dussopt. La bonne tenue du marché du travail va renforcer les velléités de réforme du gouvernement, afin de s’attaquer au chômage de longue durée et aux pénuries de main-d’oeuvre.