Depuis le mois de juin, Marie-Pierre, 63 ans, s’occupe des factures clients et fournisseurs pour une petite entreprise de la région parisienne. Sa retraite, cette ex-comptable, divorcée depuis bientôt dix ans, ne l’avait pas vraiment envisagée comme cela. Mais avec ses 1400 euros de pension, en comptant la complémentaire, elle n’a pas eu trop le choix. Une fois le loyer et toutes les charges payées, il ne lui restait plus grand-chose dans le porte-monnaie. “Je ne suis pas un panier percé, s’excuse presque la retraitée. Mais le coût de la vie a tellement augmenté ces derniers temps que j’en étais arrivée à refuser des sorties avec des amis”.
La situation de Marie-Pierre est presque devenue banale. Parmi les 16,9 millions de retraités que comptait la France en 2020, ils étaient, selon les chiffres de l’Insee, près de 500 000 à cumuler un emploi avec leur pension. Le contexte inflationniste, lié à la sortie de la crise pandémique mondiale, ne fait évidemment qu’aggraver les choses. Beaucoup de seniors ont aujourd’hui compris qu’ils doivent reprendre le chemin du travail, du moins en temps partiel, s’ils veulent, non pas mettre du beurre dans les épinards, mais juste arriver à boucler leurs fins de mois.
“J’ai le sentiment d’être utile”
Certains, à l’instar de Marie-Pierre, n’ont pas trop de mal à se remettre à la tâche. “Le passage entre la vie active et la retraite a été un tsunami, confie-la sexagénaire. J’avais le sentiment d’être devenue un boulet pour la société”. Si elle n’avait pas rencontré de difficultés financières, la jeune retraitée n’aurait bien sûr pas songé à reprendre une activité. Il n’empêche: elle se sent mieux depuis qu’elle retravaille. “J’ai le sentiment d’être utile et j’entretiens mes compétences intellectuelles, tout en gardant du temps pour moi, poursuit-elle. Sans compter que ce complément de revenu – 380 euros nets par mois – améliore mon quotidien. Je ne fais certes pas encore de folies, mais je peux m’octroyer de temps à autre un petit plaisir”.
Pour d’autres – une majorité – la pilule ne passe pas. S’ils n’étaient pas poussés par la nécessité, ceux-là préféraient de loin goûter à un repos mérité. Leur colère est d’autant plus forte qu’ils voient bien qu’il ne suffit pas de vouloir retravailler pour le pouvoir. “En France, l’image du senior est peu valorisée en entreprise, confirme Nathalie Hanet, présidente de l’association Solidarités nouvelles face au chômage. On le pense dépassé par les nouvelles technologies, pas adaptable et, aussi, trop cher”. Conséquence: les quinquas et + galèrent à retrouver un emploi.
Encore un crédit à honorer
Serge et Sylvie, respectivement 61 et 60 ans, en sont de parfaits exemples. Cet ancien chauffeur de bus, qui a fait une carrière longue, est parti à la retraite l’année dernière. Tout comme son épouse, autrefois secrétaire de direction, à mi-temps. Ces deux-là, qui ont encore des crédits sur le dos, vivent avec 1800 euros par mois et ont, eux aussi, constaté une baisse importante de leur pouvoir d’achat. “Quand on fait les courses, on a l’impression qu’il y a des erreurs sur les étiquettes, disent-ils. Il nous arrive de reposer des articles en caisse”.
A contrecœur, ils se sont donc mis à scruter les petites annonces. Serge, qui souffre de douleurs lombaires, ne peut reprendre la route et peine, par manque de qualifications, à trouver autre chose. Sylvie, elle, se serait encore plus passé que sa moitié de retourner au turbin – “j’ai assez donné”, lâche-t-elle -, mais a candidaté à plusieurs postes de secrétariat. Malgré son expérience, elle n’a pas eu de réponses et a fini par accepter un emploi en intérim dans la restauration scolaire. “C’est plus fort que moi, glisse-t-elle. A chaque fois que j’enfile ma blouse, je me demande ce que je fais là”.