La révolution climatique ne sera pas un dîner de gala. Une note de France Stratégie, vient tirer la sonnette d’alarme sur le « retard préoccupant » de la réflexion économique autour des conséquences massives de la transition environnementale sur la croissance ou l’inflation, rappelant notamment les montants conséquents d’investissements publics et privés – 70 milliards d’euros par an – nécessaires pour aller vers la neutralité carbone.
Cette étude – réalisée par Jean Pisani-Ferry, professeur à Sciences Po, et Selma Mahfouz, inspectrice générale des finances, qui avaient tous deux participé à la campagne 2017 d’Emmanuel Macron – découle d’une commande passée cet été par Elisabeth Borne . Pour anticiper l’adaptation de l’économie française à l’impératif climatique, la Première ministre voulait avoir les idées claires sur « l’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition écologique », selon les mots de la lettre de mission.
L’expérience « gilets jaunes »
Une nécessité aux yeux des auteurs de la note : « Pour beaucoup, les macroéconomistes ont tardé à se saisir d’un sujet qu’ils percevaient comme essentiel pour le long terme, mais assez secondaire à l’horizon de quelques années », écrivent Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz pour le compte de France Stratégie, organisme de réflexion attaché à Matignon.
Il est aussi rappelé que « souvent les simulations ont été cadrées en sorte de produire des résultats favorables, afin de convaincre décideurs et opinions de ce que l’action climatique induirait des bénéfices économiques et sociaux ».
Las ! Le tableau s’annonce bien plus complexe et ce serait une erreur de l’ignorer. « L’expérience de la taxe carbone nous a appris combien il était hasardeux de minimiser l’ampleur des efforts que va exiger la transition », rappellent les deux auteurs. Ceux-ci s’annoncent massifs, alors que la décarbonation « revient principalement à mettre un prix (explicite ou implicite) sur une ressource (un climat stable) qui était auparavant disponible à coût nul ».
Cela « revient donc fondamentalement à un choc d’offre avec, dans un premier temps, des conséquences négatives sur la consommation, la productivité du travail » et la croissance, est-il écrit. Sans oublier la « greenflation » à venir, puisque la transition paraît vouée à pousser vers le haut les prix, en taxant le carbone ou en se passant des énergies fossiles bon marché.
Investissement massif à court terme
Les auteurs de la note ne veulent toutefois pas repeindre leur scénario vert en noir façon Soulages. « A horizon de dix ou vingt ans, construire une économie neutre pour le climat est très probablement plus aisé qu’on ne le croyait encore récemment », écrivent-ils. D’ici là, cela réclame une politique publique volontariste, qui fera l’objet d’un rapport plus complet au printemps 2023. Mais la note publiée ce mercredi pose déjà la boîte à outils qui peut être utilisée, avec trois instruments principaux.
Il s’agit d’abord de favoriser la sobriété. Le gouvernement s’y essaie depuis la rentrée, contraint par la guerre en Ukraine. Il faut aussi « réorienter le progrès technique vers les alternatives aux énergies fossiles » ce qui impose de revoir les politiques de recherche et développement puisque « l’innovation n’est pas spontanément verte » avec l’espoir d’avoir des effets à l’horizon 2050. Enfin et c’est sans doute le plus important à court terme, il va falloir investir massivement pour sortir des énergies fossiles .
Les objectifs de Macron
Sur ce dernier point, la facture s’annonce salée. La note avance que les « investissements supplémentaires (publics et privés) nécessaires à l’atteinte des objectifs climatiques 2030 et 2050 » pourraient représenter « un ordre de grandeur de 2,5 points de PIB en 2030 », soit 70 milliards. « Le coût de la transition pour les finances publiques risque d’être substantiel », prévient la note, alors que l’Etat devra aussi aider les acteurs – ménages ou entreprises – pour qui la pente de la transition est trop raide.
Un objectif réaliste ? Durant sa dernière campagne, Emmanuel Macron a promis 10 milliards d’investissements publics supplémentaires pour la transition climatique sur son quinquennat, mais personne au gouvernement n’était capable de dire où en est actuellement l’effort lors de la présentation du budget pour 2023.
Les enjeux posés, chaque acteur public va devoir jouer des trois leviers décrits par la note. Avec déjà des différences d’approche. « La stratégie américaine repose principalement sur la décarbonation du système énergétique et met fortement l’accent sur la recherche et l’innovation, sans faire explicitement appel à des changements de comportement dans le sens de la sobriété. Celle-ci, en revanche, est partie intégrante des stratégies européenne, britannique et française », soulignent les auteurs.