L’hydrogène n’est pas officiellement à l’ordre du jour du sommet européen qui se tient à Bruxelles jeudi . Mais il en sera question en coulisses, car une bataille importante est en train de se jouer pour cette énergie d’avenir, considérée comme cruciale pour réduire les émissions de CO2 de l’Union européenne. Elle oppose la France d’un côté, l’Allemagne et l’Espagne de l’autre.
Depuis des mois, Paris se bat pour que l’hydrogène bas carbone, produit à partir d’électricité nucléaire, soit placé à égalité avec l’hydrogène renouvelable, issu d’électricité solaire, éolienne ou hydraulique. Cette reconnaissance est cruciale, parce que cette source d’énergie sera prise en compte par la réglementation européenne pour les objectifs de décarbonation fixés au cours des prochaines années.
Noir sur blanc dans la déclaration
Le gouvernement français pensait avoir obtenu le feu vert de Berlin et Madrid. C’était un point clé négocié le mois dernier par Emmanuel Macron lors du sommet de Barcelone, avec le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez , et du Conseil des ministres franco-allemand, avec le chancelier Olaf Scholz.
La reconnaissance de la « neutralité technologique » pour l’hydrogène était même inscrite noir sur blanc dans la déclaration commune de la France et de l’Allemagne publiée le 22 janvier. Les deux types d’hydrogène, « renouvelable et bas carbone », pourront « être pris en compte dans les objectifs de décarbonation » de l’UE, souligne ce document.
« On s’est sentis trahis »
Las, cette alliance de principe que Paris pensait avoir scellée a rapidement montré ses failles. La pomme de discorde, c’est une directive européenne sur les énergies renouvelables, RED3, qui est en négociation actuellement entre la Commission de Bruxelles, le Parlement européen et le Conseil qui représente les Etats membres. Une réunion sur le sujet, prévue cette semaine, a été annulée, faute d’accord.
Ce texte fixe des objectifs de consommation d’hydrogène renouvelable pour l’industrie : 42 % en 2030, 60 % en 2035. L’Allemagne et l’Espagne, ainsi que d’autres pays comme l’Autriche, refusent que l’hydrogène issu de l’électricité nucléaire soit pris en compte. « C’était pourtant parfaitement clair lors des rencontres au sommet en décembre. On s’est sentis trahis, confie une source au sein du gouvernement français. Le sujet est remonté au plus haut niveau de l’exécutif. »
« Absurde et climaticide »
Au point que Paris a rendu l’affaire publique . « S’interdire d’utiliser le nucléaire, qui est une énergie émettant moins de carbone que le photovoltaïque ou l’éolien est une position climaticide et absurde », a déclaré la semaine dernière la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.
La France a rameuté des alliés sur la question, c’est-à-dire la plupart des pays qui misent sur le nucléaire. Avec ses homologues de Pologne, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Slovaquie, Hongrie et République tchèque, la ministre a adressé la semaine dernière une lettre à la Commission européenne lui demandant « de proposer un amendement » au projet de directive, afin de mettre au même niveau hydrogène renouvelable et bas carbone. Ce groupe de neuf pays est en mesure de bloquer l’adoption du texte, souligne-t-on à Paris.
Bénéficier des mêmes aides
« S’opposer au bas carbone est une impasse collective qui met en danger notre objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 », écrivent les neuf ministres. Les deux types d’hydrogène doivent bénéficier des mêmes aides, sous peine de ralentir le développement de cette énergie propre et de pénaliser la compétitivité du Vieux Continent, notamment face aux Etats-Unis, argumentent-ils.
La France menace, de façon à peine voilée, de bloquer le projet de gazoduc de transport d’hydrogène qui est à l’étude pour relier Barcelone et Marseille, et qui pourrait ensuite être prolongé vers l’Allemagne et l’Europe du Nord. « Le déploiement d’un tel réseau dans un contexte où les Etats membres ne partagent pas la même vision de la production et de l’utilisation de l’hydrogène » ne serait « pas favorable à la coopération transnationale », poursuit le courrier des ministres.