Cela a été l’une des mesures surprises de la réforme de l’assurance-chômage adoptée en fin d’année dernière. La loi assimile dorénavant un « abandon de poste » sans raison valable à une démission. Une évolution juridique – encore en attente de son décret d’application – mais qui privera le « présumé démissionnaire » de la possibilité de percevoir une indemnisation chômage.
La majorité et le gouvernement se sont ralliés sans difficulté à la proposition des Républicains qui portaient la mesure, justifiant leur position par l’explosion du nombre de cas mise en avant par les milieux patronaux, surtout dans les TPE et PME.
Un phénomène pas cantonné au CDI
Aucune statistique ne permettait cependant de mesurer l’ampleur du mouvement, ni de cerner les motivations des salariés ayant choisi cette solution. Une étude de la direction statistique du ministère du Travail, la Dares, publiée ce mercredi comble cette lacune. L’un de ses principaux enseignements est que le phénomène est loin d’être anecdotique.
Au premier semestre 2022, 123.000 salariés du secteur privé – dont 116.000 en CDI – ont abandonné leur poste, c’est-à-dire ont quitté leur poste sans avoir prévenu ou obtenu l’autorisation de leur employeur, révèle le document. Ce comportement a été à l’origine de plus de 70 % des licenciements pour faute grave ou lourde sur la période, précise la Dares.
Le commerce, le transport et l’entreposage ont été les secteurs d’activité les plus touchés totalisant 41.000 abandons de CDI en six mois. Le phénomène n’est pas cantonné aux contrats à durée indéterminée : 7.000 salariés en CDD ont choisi cette option sur la période.
Alors que le gouvernement avait évoqué pendant les débats un phénomène « en augmentation constante », l’étude ne donne pas d’indication sur l’évolution du nombre d’abandons de poste sur longue période, livrant simplement une photo à un moment donné. Elle ne dit rien non plus des motivations des salariés qui ont retenu cette solution. Elle livre, en revanche, des informations sur ce que sont devenus les salariés qui ont décidé d’abandonner leur poste volontairement.
37 % ont retrouvé un emploi
Si on se concentre sur ceux qui ont quitté un CDI, plus de la moitié (55 %) se sont inscrits à Pôle emploi dans les trois mois qui ont suivi leur décision. Et 43 % – soit environ 50.000 personnes – ont ouvert des droits à l’assurance-chômage.
Selon l’étude, un gros tiers (37 %) a accédé au moins une fois à un nouvel emploi dans ce délai de trois mois. Parmi ceux-ci, 30 % ont retrouvé un CDI. Ce niveau de retour à l’emploi est identique à celui des salariés qui négocient une rupture conventionnelle et sont éligibles à l’assurance-chômage, rappelle la Dares. Il est, par contre, « nettement inférieur » à celui des démissionnaires (69 %) qui, insiste-t-elle, « ne sont pas indemnisés ».
Ces chiffres laissent supposer que l’accès à l’indemnisation n’est pas neutre dans la décision des salariés d’abandonner leur poste sans prévenir. C’est en tout cas le pari des partisans d’un durcissement des règles de l’assurance-chômage, qui espèrent mettre un frein à cette pratique en bloquant l’accès aux allocations.
Cela ne suffira pas à éliminer totalement le sujet. Près d’un quart des personnes (24 %) n’étaient ni en emploi salarié ni inscrites à Pôle emploi dans les trois mois suivant leur licenciement, selon la Dares.
Dans ses prévisions financières pour les trois années à venir présentées mardi, l’Unédic, qui gère l’assurance-chômage, n’a pas intégré les économies liées à la fin de l’accès à l’indemnisation pour les abandons de poste, puisque la mesure n’est pas encore en vigueur. A supposer qu’elle l’ait été en 2022, cela aurait concerné 100.000 personnes en extrapolant les chiffres de l’étude. « L’effet ne sera pas négligeable », a anticipé le directeur général de l’Unédic, Christophe Valentie.