Ciblés par une plainte de l’Association patronale de garantie de salaires (AGS), les administrateurs et mandataires judiciaires dénoncent « les torrents de boue dans la presse » à leur encontre, démentent les soupçons de détournements « délirants » et menacent d’attaquer en justice le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, pour « dénigrement ».
Le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires se constitue partie civile dans la plainte de l’AGS. Pour quel préjudice ?
Je rappelle que le Conseil national est un établissement d’utilité publique dont l’objet, notamment, est de veiller au respect de leurs obligations par les professionnels, d’engager des poursuites disciplinaires quand il le faut, de se constituer partie civile si nécessaire. La profession est réglementée et travaille au service de l’intérêt général. Nous sommes l’objet d’attaques extrêmement violentes dans la presse, devenues récurrentes, et les propos tenus sont outranciers et mensongers. L’AGS a annoncé en 2019 avoir porté plainte pour des détournements, excusez du peu, de 1,5 milliard d’euros. Le chiffre d’affaires annuel de tous les administrateurs et mandataires c’est 400 millions. Donc, 1 milliard et demi ça se verrait…
Sauf si c’est étalé sur dix ans ou plus…
Même sur plusieurs années cela se verrait ! Qui peut croire que 1,5 milliard disparaisse comme cela ? On ne fait pas ce qu’on veut dans les dossiers. Nos comptes sont contrôlés par des commissaires aux comptes deux fois par an. Tous les trois ans est réalisé un contrôle sur place et sur pièces. Nos émoluments sont établis sur barèmes. La profession est la plus contrôlée de France, et c’est très bien comme cela. Nos comptes rendus de fin de missions sont remis au tribunal, au procureur et aux contrôleurs dont fait partie l’AGS. On ne peut rien cacher. Cela tombe bien, on ne veut rien cacher ! Les montants dont on parle sont totalement délirants, basés a priori sur rien.
La plainte a été déposée après un audit du cabinet Advolis et des audits internes menés par la DUA AGS qui liste des exemples de dossiers.
En 2019 quand la plainte est déposée, on nous dit que c’est basé sur un rapport de la Cour des comptes. Nous l’avons consulté à l’époque. Il n’y a rien. Après, on nous a parlé d’un rapport E&Y dont on pense qu’il ne dit rien non plus. On apprend après que l’auditeur d’E&Y a été embauché par la DUA. Le juge fera la part des choses et nous lui prêterons notre concours. Si les accusations portées sont mensongères, nous saisirons la justice et nous rendrons coup pour coup. Parce que ça suffit !
Pourquoi avoir attendu quatre ans pour vous constituer partie civile ?
D’abord parce qu’il fallait attendre l’ouverture d’une instruction, en octobre 2022. Quand en 2019, l’AGS nous dit que 1 milliard et demi a été détourné, on est allés les voir en leur demandant les éléments pour contrôler les professionnels. Si l’un d’entre eux détourne de l’argent, c’est notre rôle de le poursuivre. L’AGS a systématiquement refusé de partager ces informations. Pourquoi ? Si on se prétend victime de détournements gigantesques, c’est qu’on veut les faire cesser au plus vite non ? En fonction de ce qu’il y a dans le dossier, nous agirons, sans exclure de porter plainte pour dénonciation calomnieuse comme on l’a déjà fait. Ce torrent de boue qu’on lit dans la presse depuis quelques jours est inacceptable !
Envisagez-vous de vous retourner contre le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, qui a déclaré « les mandataires judiciaires, si j’étais journaliste je m’y intéresserais, ça c’est sûr » ?
Ce qui est dommage, c’est que comme patron des patrons, il ne s’y intéresse pas ! Les entreprises en difficulté n’intéressent pas le Medef. Il y a environ 50.000 chefs d’entreprise et entre 200.000 et 300.000 salariés qui sont concernés par an. Le Medef a une vision extrêmement brutale de ce sujet de société qui consiste à dire : les faibles doivent disparaître pour que les forts se renforcent. Nous saisirons la justice de tous les actes de dénigrements caractérisés.
Le problème vient donc de l’AGS, pas de votre profession ?
Je ne sais pas encore ce qu’il y a dans la plainte mais je note que l’un des auditeurs d’Advolis a, lui aussi, été embauché par la DUA AGS. Quand on fait mener des audits indépendants, c’est un peu étonnant d’embaucher ensuite l’auteur du rapport. Par ailleurs, l’Unédic a tenu des propos extrêmement durs sur la gestion de la directrice nationale de la DUA AGS, parlant du « salon des dysfonctionnements et de la fraude réunis ». Voilà ceux qui nous attaquent ! Chacun doit retrouver la raison.
Vos relations avec l’AGS étaient-elles meilleures avec l’ancienne direction de la DUA ?
L’AGS, plombée par des querelles internes, dysfonctionne de manière gravissime depuis quatre ans. Dans plusieurs cas, les salariés ne sont plus payés ou avec plusieurs mois de retard parce que l’AGS refuse d’honorer sa mission. Trois exemples : Naf Naf sept mois pour payer les salariés protégés, XL Airways refus de payer les prud’hommes, La Halle, qui compte 1.900 salariés, attend depuis près d’un an le déblocage de 8 millions. Les difficultés sont quotidiennes. On réalise enfin que cela fait des années que cela dure, que le Medef n’a rien fait. Alors on cherche un bouc émissaire, mais le bouc émissaire en a marre et il va se défendre. Que l’AGS lave son linge sale, sans nous mêler à leurs histoires !
Qu’est-ce qui explique que votre profession soit à ce point critiquée ?
Je ne partage pas cette analyse, car elle fait la part belle à des prises de position systématiquement négatives, comme cette cheffe d’entreprise citée dans un grand média qui a été condamnée du fait, je cite, « de fautes de gestion aussi graves qu’évidentes, qui sont entièrement à l’origine du dépôt de bilan » selon le jugement. Quelle est la réalité ? Le système français d’accompagnement des entreprises en difficultés est le meilleur du monde. La réalité, c’est que 80 % des procédures amiables, mandat ad hoc et conciliations, aboutissent à une solution. La sauvegarde, c’est deux tiers des cas. Au total, nous sauvons les deux tiers des emplois. En Allemagne c’est 10 %.
Combien d’administrateurs et mandataires sont sanctionnés chaque année ?
Cela représente quelques cas par an sur 450 administrateurs ou mandataires judiciaires. Le Conseil national poursuit, et c’est une commission indépendante, composée majoritairement de magistrats, qui sanctionne et souvent moins lourdement que ce que l’on préconise. Notre main ne tremble pas.