Alors qu’Emmanuel Macron souhaite que le patronat et les organisations de salariés s’entendent sur un « Pacte de la vie au travail » d’ici à la fin de l’année, la semaine de quatre jours qui remporte les suffrages outre-Manche peut-elle être une piste sérieuse en France ?
En Angleterre où une expérimentation a été menée entre juin et décembre 2022 avec 3.000 salariés du secteur privé, la conclusion a été positive , selon les chercheurs de Cambridge et de Boston qui l’ont étudiée. A l’issue du test, 56 des 61 organisations ont choisi de maintenir le dispositif et les salariés se sont révélés « moins stressés » et plus productifs. Les règles sont claires : le salarié perçoit 100 % de son salaire et assume la même charge de travail qu’auparavant mais sur un moins grand nombre de jours.
Pas de loi
En France, le sujet s’est invité au milieu des débats tumultueux sur les retraites. Il a été lancé par l’exécutif avec des essais dans deux services publics : la Cnav et l’Urssaf de Picardie où la proposition suscite peu d’adhésions.
Alors que depuis le Covid, le rapport des Français au travail a évolué, les entreprises hexagonales sont, elles aussi, de plus en plus nombreuses à réfléchir à la semaine de quatre jours. Ce qui ne signifie pas nécessairement moins d’heures de travail mais sûrement davantage de liberté pour le salarié. « Le débat prouve qu’il y a un sujet », observe Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des DRH (ANDRH). Mais « la semaine de quatre jours ne peut s’envisager indépendamment du contexte de l’entreprise : télétravail, organisation de la production ». Surtout, « il ne faut pas que ce soit imposé par la loi », insiste-t-il.
Négociation collective
Cet avis est largement partagé par les experts. « La semaine de quatre jours, ce n’est pas forcément une mauvaise idée à condition de ne pas tomber dans le penchant bien français de mettre tout le monde dans la même case comme on l’a fait pour les 35 heures. Il est impératif que la discussion relève de la négociation collective.
« C’est aux partenaires sociaux de s’emparer du sujet », abonde Gilbert Cette, professeur à Neoma Business School qui avance deux raisons : « Le dispositif n’est pas adaptable à toutes les professions et il n’est pas souhaité par tous les travailleurs. »
« Les expériences qui fonctionnent déjà ne sont pas extrapolables à l’ensemble de l’économie car les entreprises qui mettent en place le dispositif sont en général plus productives que les autres et recrutent beaucoup », ajoute Stéphane Carcillo, chef de la division emploi et revenus à l’OCDE.
Accepter davantage de flexibilité
Lancer le débat à l’heure où le monde du travail se cherche apparaît néanmoins « pertinent » aux yeux des experts. « La norme unique d’un contrat à temps plein sur cinq jours a mis beaucoup de monde au bord de la route », rappelle Hippolyte d’Albis, professeur à l’Ecole d’économie de Paris.
S’appuyant sur des travaux anciens, Eric Heyer, de l’OFCE, a recensé les profils d’entreprises qui s’y prêteraient le mieux. « Dans les grandes entreprises industrielles, cela peut être intéressant si cela permet une meilleure utilisation des équipements. La contrepartie, c’est que les salariés doivent accepter davantage de flexibilité dans leurs horaires. Ce qui améliore la productivité du capital même si la productivité du travail baisse un peu. En revanche, c’est plus compliqué dans les services », selon lui. Dans les TPE et les PME aussi, l’exercice s’annonce également délicat.
Salariés de la seconde ligne et non-cadres
Aujourd’hui, l’économiste estime toutefois que « la semaine de quatre jours fait partie des pistes pour résoudre la crise du travail, et potentiellement les problèmes de recrutements ». De fait, la mesure présente un double avantage : favoriser l’épanouissement des salariés et redonner de l’attractivité à des métiers qui ne bénéficient pas du télétravail. « Cela peut être une solution pour améliorer les conditions de travail des salariés de la seconde ligne et les non-cadres. Cela peut aussi être une voie pour maintenir plus longtemps en emploi les seniors de plus de 55 ans », poursuit Eric Heyer.
Vu du côté de l’entreprise, passer aux quatre jours nécessite bien sûr des aménagements substantiels de l’organisation. L’impact sur la productivité ne peut s’apprécier qu’au niveau de chaque société. « L’effet est incertain », estime Stéphane Carcillo. En théorie, si la durée de travail sur la semaine reste la même et que la durée travaillée dans une même journée augmente, les dernières heures sont moins productives. Mais la motivation du salarié peut avoir un effet compensateur », explique-t-il.
Modèle « encore plus productiviste »
Si, en revanche, la mesure va de pair avec une réduction du temps de travail, cela pourrait s’accompagner d’une baisse de salaire pour les salariés. Mais ce n’est pas obligatoire.
Pour Benoît Serre, les quatre jours aboutiront dans tous les cas à « un changement de modèle économique pour l’entreprise ». « Si le salarié doit faire en quatre jours ce qu’il faisait avant en cinq jours, cela va aboutir à un modèle encore plus productiviste avec des salariés travaillant à flux tendu. A terme, cela risque de conduire à une baisse de la productivité », prévient-il.