Des maisons d’arrêt qui « débordent » et l’Etat « qui détourne le regard ». La contrôleure des prisons, Dominique Simonnot, étrille, dans son rapport annuel publié ce jeudi, « l’inertie coupable » du gouvernement face à la surpopulation carcérale record en France. « Inertie, définition : manque d’activité, d’énergie. Etat de ce qui ne bouge pas ou peu. Synonymes : apathie, immobilisme, inaction, facilité », attaque-t-elle dans l’avant-propos de ce rapport, qui dresse un tableau très noir des atteintes aux droits dans les prisons mais aussi hôpitaux psychiatriques ou centres de rétention administrative.
« L’inertie est un mur auquel se heurtent les alertes incessantes du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) sur l’état déplorable des lieux qu’il visite », se désole l’ancienne journaliste du « Canard enchaîné » . Comme en écho à ses déclarations à son arrivée à la tête de cette autorité administrative indépendante, à l’automne 2020. Elle avait alors prévenu qu’elle ne voulait pas « servir d’alibi » et qu’elle comptait voir ses recommandations, bien que non contraignantes, appliquées « avec la plus grande fermeté ».
Trois prisonniers par cellule
Près de trois ans après, la contrôleure générale sonne encore l’alarme alors qu’un nouveau pic historique vient d’être atteint dans les prisons françaises avec 73.080 détenus au 1er avril pour 60.899 places, et un taux d’occupation moyen qui grimpe à 142,2 % dans les maisons d’arrêt. Cette surpopulation record inflige « aux prisonniers de vivre à trois par cellule, 21 heures sur 24 – dans moins d’1 m2 d’espace vital par personne – d’être grignotés par les punaises, envahis par les cafards et les rats », égrène Dominique Simonnot. Elle contraint « 2.100 d’entre eux à dormir sur un matelas au sol », pointe-t-elle.
L’autorité indépendante, rappelle-t-elle, « recommande depuis 2017 » la mise en place d’un mécanisme de régulation carcérale inscrit dans la loi, qui permettrait d’examiner les possibilités de sortie d’un prisonnier en fin de peine avant de faire rentrer d’autres détenus. Mais « malgré des démarches insistantes […], les pouvoirs publics ne semblent pas déterminés à modifier l’état du droit », regrette la CGLPL.
Promesse de nouvelles places
Elle tance la « solution avancée par l’Etat » pour lutter contre le fléau de la surpopulation carcérale. Il s’agit de la construction de 15.000 nouvelles places de prison d’ici 2027. Une « fameuse promesse fleurant le rance, puisque ces 15.000 places étaient déjà proclamées en 2017 pour 2022 » et ont été « très modestement réduites, à 2.000 fin 2021 », accuse la contrôleure générale.
Le CGLPL, qui est chargé de veiller au respect des droits fondamentaux dans les prisons, mais aussi les hôpitaux psychiatriques , les centres de rétention administrative, les centres éducatifs fermés et les locaux de garde à vue, a effectué 115 visites de contrôle d’établissements en 2022. Dans tous ces lieux de privation de liberté, le constat de la contrôleure générale est également « très alarmant ».
Etrangers en voie d’expulsion
Concernant les hôpitaux psychiatriques, la CGLPL déplore des « atteintes » portées « à l’égalité d’accès aux soins, à la liberté d’aller et venir. Et parfois même à l’obligation de protection des patients, dans un « contexte de pénurie médicale et soignante ».
Dominique Simonnot s’inquiète par ailleurs d’une « gestion de plus en plus sécuritaire » des centres de rétention administrative (CRA), « où sont parqués – pas d’autre mot – les étrangers en voie d’expulsion », et où « les activités y sont plus que rares, les cours de promenade très exiguës, les chambres sales et dégradées, l’information sur les droits parcellaire ».
Lueur d’espoir
Dans ce contexte, l’accroissement des capacités de rétention, annoncé à l’occasion d’un débat sans vote sur l’immigration en décembre à l’Assemblée nationale, « porte le risque d’une multiplication des atteintes aux droits », prévient la contrôleure générale. De l’ensemble des constats contenus dans ce rapport de 188 pages, « surnage […] le sentiment d’un abandon de l’Etat », considère-t-elle.
« Cependant l’espoir demeure », assure Dominique Simonnot, se « félicitant » que les bâtonniers des ordres d’avocats se soient saisis de leur nouveau droit de visiter les prisons, cellules de garde à vue et centres de rétention, tout comme les parlementaires. « Plus de monde verra et constatera ce que dénonce le CGLPL, souligne-t-elle, plus vite avanceront les chances de changement. Sans quoi, cette inertie coupable perdurera. »