Les travailleurs indépendants sont inquiets. La réforme prévue dans le prochain budget pour améliorer leurs droits à la retraite pourrait être rendue moins avantageuse que prévu afin de limiter son impact sur les finances publiques, selon leurs représentants. Ceux-ci ont décidé d’en appeler à la Première ministre.
Les paramètres envisagés par l’administration et notamment Bercy « limitent inévitablement la portée et l’intérêt de la réforme et sont autant d’éléments de frustration pour les indépendants », écrit Pierre Burban, secrétaire général à l’organisation patronale U2P, dans un courrier adressé à Elisabeth Borne à la mi-juin.
Inégalité avec les salariés
La frustration est d’autant plus grande que la réforme est attendue de longue date. Promise par le gouvernement lors de la présentation de la réforme des retraites en début d’année, elle avait déjà été évoquée lors du débat sur la retraite universelle en 2019-2020.
L’enjeu pour les indépendants est de mettre fin à une inégalité avec les salariés et d’améliorer leurs droits à la retraite. Car, à revenu net équivalent, les indépendants qui ont des assiettes de cotisations et contributions particulières, payent aujourd’hui plus de CSG (contribution sociale généralisée) que les salariés. En revanche, ils acquièrent moins de droits à la retraite sur la base de leurs cotisations.
Les indépendants comptent donc sur une réforme du calcul de leurs contributions et de leurs cotisations sociales – pour payer moins de CSG. Leur niveau de prélèvement ne changerait cependant par car ils sont prêts en contrepartie à payer plus de cotisations retraites pour renforcer leurs droits.
L’idée défendue par le gouvernement en début d’année était que le changement de l’assiette sociale des indépendants profite notamment aux plus modestes. Sachant que pour faire mieux accepter la réforme des retraites, l’exécutif avait décidé de revaloriser les petites pensions des salariés. Le gouvernement promettait aussi de « simplifier » le calcul des cotisations et contributions sociales.
Manque à gagner pour les finances de l’Assurance Maladie
Reste que le changement de mode de calcul, via une refonte de l’assiette, aura en revanche un impact pour les finances publiques, avec une baisse de la CSG, qui finance notamment l’Assurance Maladie.
D’où le scénario qui a été présenté par Bercy et la direction de la Sécurité sociale aux indépendants. Il viserait à augmenter les cotisations maladie et pas seulement les cotisations retraites. En limitant l’augmentation des cotisations retraites et donc des droits associés, la réforme pourrait limiter le manque à gagner pour l’Assurance Maladie de 800 à 500 millions d’euros.
A Bercy, on indique que rien n’est tranché, l’équation pourrait donc être un peu différente in fine mais les indépendants redoutent déjà que la nouvelle donne soit moins séduisante qu’attendu.
« Il ne serait pas juste que l’argent [qui ne sera pas prélevé au titre de la CSG] soit réaffecté à des cotisations qui ne génèrent pas de droits », déplore Laurent Boulangeat, président de la commission des affaires sociales de l’U2P, qui s’est réunie lundi pour plancher sur le sujet.
Hausses des prélèvements
Autre sujet d’inquiétude : « Vous auriez un certain nombre d’indépendants, ceux avec les revenus les plus élevés, qui se retrouveraient avec un ensemble de prélèvement sociaux plus élevé qu’avant, ce qui n’est pas du tout le but de la manoeuvre », explique celui qui est aussi agent général. Cette hausse concernerait 10 % des indépendants et 20 % des professionnels libéraux (avocats, professionnels de santé etc.).
Lors des échanges avec les travailleurs indépendants, l’administration a par ailleurs évoqué une application de la réforme sur les revenus de 2025. L’U2P souhaiterait pour sa part que la réforme ne soit pas reportée à trop tard, même si « techniquement c’est compliqué », reconnaît Laurent Boulangeat.
Ces complexités alimentent en tous les cas les critiques sur la réforme. L’objectif d’avoir une réforme neutre qui n’augmente pas le niveau de prélèvements pour toutes les professions indépendantes et à tous les niveaux de revenus « est hors d’atteinte », estime l’Institut de la protection sociale, un groupe de réflexion consacré à la protection sociale dans une note à paraître ce mercredi.
Pour l’Institut, la proposition de réforme « mal née » ne coche « aucune des cases d’une plus grande lisibilité des prélèvements sociaux pour les indépendants ». Le groupe de réflexion propose de revoir seulement l’assiette de la CSG et la CRDS, mais avance aussi d’autres pistes de réformes. Il s’agirait par exemple de revenir sur les cotisations sociales sur les dividendes ou d’ajuster certains paramètres des contrats d’épargne permettant aux indépendants de préparer leur retraite (contrats Madelin).