« Ils manquent de serveurs l’été et ils se demandent pourquoi ? Qu’ils essaient de tenir le rythme. En deux jours, ils auront la réponse. » A 36 ans, Carmina Pozos fait partie de ceux qui ont décroché de l’hôtellerie après dix ans de service dans les hôtels et restaurants des environs d’Alicante, sur la côte méditerranéenne.
Elle s’est promis de ne plus y retourner et elle est loin d’être la seule. Le secteur manque ainsi cruellement de bras cet été. Il a perdu 32.000 serveurs et 3.000 employés en cuisine depuis la pandémie, selon l’Institut national de statistique (INE). Une situation paradoxale, alors que le taux de chômage, même s’il est en baisse, reste aux alentours de 11,6 %.
Les offres d’emploi lancées en début de saison sont restées vacantes, au pire moment puisque l’Espagne est en passe de battre son record de fréquentation pré-Covid, quand le pays avait accueilli 83,7 millions de visiteurs sur l’année 2019.
Embauche en pays d’origine
Pour répondre aux demandes du secteur, le gouvernement a commencé à simplifier depuis l’an dernier les procédures d’obtention des visas de travail pour incorporer des travailleurs étrangers, avec l’embauche en pays d’origine par le biais d’accords avec des pays d’Amérique latine notamment.
De nouvelles mesures adoptées cette année facilitent aussi la régularisation d’immigrés sans papiers, qui s’engagent en contrepartie à suivre des formations adaptées à l’emploi. La solution est vue avec méfiance par les syndicats qui dénoncent le risque d’une dévaluation généralisée, « en alimentant la machine avec une main-d’oeuvre moins exigeante ».
C’est au sortir de la crise Covid que la fuite des salariés a été détectée, lorsque les hôteliers qui avaient dû baisser le rideau durant deux étés ont tenté de rappeler leur personnel habituel pour la saison d’après. Ils ont alors découvert qu’entre-temps, nombre de leurs anciens serveurs ou plongeurs s’étaient réorientés vers d’autres secteurs.
La pandémie comme détonateur
Comme Carmina Pozos qui s’est recyclée comme aide-ménagère. « Même si je gagne moins, ça me convient », dit-elle. Ou encore son ancien collègue Felix, devenu livreur de paquets à domicile. « Je n’ai pas à enchaîner les journées de douze heures, explique-t-il. Cette année, je vais même partir dix jours en vacances en août. Je ne me souviens même plus de ce que c’est. »
Selon les syndicats, la pandémie a été le détonateur. Elle a fait prendre conscience du stress des semaines de six jours, voire sept en pleine saison, avec des contrats déclarés comme des mi-temps, des pourboires mal redistribués et des heures supplémentaires non-décomptées. « On nous fait croire qu’on est bien payés mais comme le rythme est irrégulier, au bout du compte, on finit au SMIC. Quand on n’a plus vingt ans, ça devient dur », décrit José Luis, habitué des saisons sur la côte de Murcia.
Alors que le personnel habituel rend son tablier, il est difficile d’attirer la relève. Selon Deloitte, le secteur a perdu 17 % de ses employés durant la seule année 2021, et la tendance est restée à la baisse en 2022. Pour y faire face, les grandes chaînes hôtelières misent sur de meilleures conditions de travail et de formation. « Le manque de personnel qualifié est un réel problème pour nos établissements où la qualité du service repose sur l’écoute et sur l’attention à la clientèle », reconnaît Gabriel Escarrer, PDG du groupe Melià.
Augmentations de 15 %
L’association patronale Exceltur signale les efforts du secteur pour un emploi plus stable et une augmentation des salaires de 15 % en moyenne depuis l’an dernier. « Ces améliorations ont été appliquées dans la frange haut de gamme. Elles n’ont pas forcément été répercutées dans les petits établissements et l’hôtellerie bon marché », précise Chema Martinez, du syndicat Commissions ouvrières, qui pointe par ailleurs les difficultés de logement pour le personnel saisonnier, littéralement poussé à la rue par les tarifs des locations des vacanciers. Le problème, de plus en plus aigu, complique le recrutement tous les étés, en particulier sur la Costa del Sol, aux Baléares et aux Canaries.