C’est une consécration pour la Croatie, qui a pris son indépendance de l’ex-Yougoslavie il y a à peine trente ans. Moins de dix ans après son entrée dans l’Union européenne, la petite république de 3,9 millions d’habitants entre ce 1er janvier dans la zone euro et dans l’espace Schengen, simultanément .
« La politique de la Croatie a toujours été de s’intégrer le plus possible à l’Union européenne, explique Marko Primorac, le ministre des Finances. L’entrée dans la zone euro en est l’aboutissement. » Euro, Schengen, Otan… le pays figure désormais dans le « noyau dur », un club de 15 Etats qui font partie de ces trois espaces à la fois.
La Croatie avait intégré, en 2020, le mécanisme de change européen, l’antichambre de l’euro. Pour accéder à cette « salle d’attente », il fallait déjà remplir l’essentiel des critères requis par le traité de Maastricht : dette publique inférieure à 60 % du PIB ou s’en approchant rapidement, déficit budgétaire de moins de 3 %, inflation maîtrisée…
Une guerre dévastatrice
Le gouvernement de centre droit du Premier ministre Andrej Plenkovic, au pouvoir depuis 2016, décline avec fierté les jalons qui ont été franchis, aboutissant au feu vert définitif des Vingt-Sept l’été dernier.
« Nous sommes restés seulement 906 jours dans le mécanisme de change européen, c’est un record ! » souligne Zvonimir Frka-Petesic, chef de cabinet du Premier ministre. La Slovénie, autre bonne élève de l’Union, y est restée dix jours de plus, sourit-il. D’autres, comme la Lituanie, y ont passé plus de dix ans.
Les Croates sont d’autant plus satisfaits de leur parcours qu’ils étaient encore en pleine guerre au début des années 1990. « Nous sommes le seul pays de l’Union européenne qui a vécu un conflit sur son territoire, rappelle Zvonimir Frka-Petesic. La guerre nous a fait perdre quinze ans ». Outre 20.000 morts en Croatie, les combats qui ont suivi l’effondrement de la Yougoslavie ont amputé le PIB d’un tiers. Le pays n’a retrouvé son niveau d’avant-guerre qu’en 2004. Les destructions ont représenté 160 % de la richesse nationale et anéanti 15 % du parc immobilier.
Mieux que la Grèce et la Slovaquie
Cet épisode dévastateur n’a que provisoirement ralenti l’arrimage de la Croatie à l’Europe occidentale. Dès les années 1990, une grande partie de l’économie nationale était fortement liée au deutsche mark, puis à l’euro, bien plus que les autres Etats d’Europe centrale. Aujourd’hui, 53 % des exportations de biens croates ont pour destination la zone euro. Dans l’autre sens, 59 % des importations viennent des pays de l’union monétaire.
Les trois quarts des dépôts des épargnants sont déjà libellés en euros. Le secteur bancaire est largement contrôlé par des banques autrichiennes et italiennes. Et dans ce pays très dépendant du tourisme , les deux tiers des étrangers qui séjournent en Croatie sont des citoyens d’un pays de la zone euro.
Dans la dernière ligne droite, la Croatie a continué à passer tous les obstacles, en dépit de la pandémie. La crise sanitaire a, certes, gonflé provisoirement le déficit budgétaire, mais ce dernier est déjà redescendu sous la barre des 2 % du PIB. Quant à la dette, elle est passée de plus de 85 % de la richesse nationale à 70 % en deux ans, plus vite que le rythme exigé par Bruxelles. Le PIB par habitant – qui n’est pas un critère formellement pris en compte – est supérieur à celui de la Grèce ou de la Slovaquie, membres de la zone euro.
La reconnaissance des agences de notation
Le cercle vertueux enclenché en Croatie a été officiellement reconnu ces derniers mois par les agences de notation. Le pays est passé cette année dans la catégorie « investissement », une exception mondiale depuis le début de la guerre en Ukraine . Il est mieux noté que sept pays de l’Union, dont un Etat fondateur, l’Italie. « Nous ne sommes plus qu’à un cran de la notation A », observe le ministre des Finances.
Les taux d’intérêt reflètent cette convergence croissante avec la zone euro. « Il y a trois ou quatre ans encore, ils étaient proches de ceux de la Hongrie ou de la Roumanie, rappelle Alen Kovac, économiste chez Erste Bank à Zagreb. L’écart avec les taux allemands s’est fortement réduit : il n’est plus que de 130 points de base. » « Cela se reflétera dans les coûts d’emprunt de l’Etat mais aussi de toutes les entreprises et tous les ménages du pays », se félicite le ministre.
Plus résiliente face aux crises
« L’entrée dans la zone euro est un aboutissement logique », poursuit Alen Kovac. Avec une économie aussi « euroisée », la marge de manoeuvre de la politique monétaire était de toute façon très limitée. En rejoignant l’union monétaire, « la Croatie sera encore plus résiliente face aux crises futures », estime-t-il. Et les investisseurs étrangers « seront rassurés par l’élimination du risque de change, qui était toujours un sujet pour eux ».