“Un euro fort est dans l’intérêt d’une Europe forte”. C’est ainsi que Willem Duisenberg, premier gouverneur néerlandais de la Banque Centrale Européenne (1998-2003), avait résumé sa feuille de route. En soi, ce n’est pas une surprise. Toutes les grandes économies cherchent à avoir une monnaie forte. En pratique, c’est autre chose. Les Etats-Unis en sont le meilleur exemple. La doctrine officielle prône un dollar fort. En réalité, le gouvernement américain se satisfait souvent d’une monnaie faible, qui permet de soutenir le complexe militaro-industriel.
Le problème de la zone euro, c’est qu’elle a fait coïncider le discours avec les actes. En résulte un problème de compétitivité structurel lié à un taux de change tendanciellement trop élevé depuis vingt ans. Malheureusement, le sujet revient sur le devant de scène à la faveur du renforcement soudain de la monnaie unique européenne. La “bonne” nouvelle, c’est qu’il y a peu de chance que celui-ci perdure.
Un problème de compétitivité
L’euro cumule les records cet été. La paire EUR/USD a connu, fin juillet 2023, sa plus longue période d’appréciation continue depuis 2004 (neuf séances consécutives). Ce n’est pas un phénomène isolé face au dollar américain. L’EUR/CNH (euro/yuan chinois) est à un plus haut depuis huit ans. L’euro pondéré en fonction des échanges, qui est un moyen d’exprimer la valeur de l’euro en termes de devises étrangères et permet de mieux apprécier les situations de survalorisation/sous-valorisation, est en outre à un point haut historique. On estime qu’il faut une paire EUR/USD autour de 1,16-1,20 pour que le tissu économique français commence à souffrir dangereusement. Mais la situation actuelle pénalise déjà certaines économies de la zone euro plus soumises aux fluctuations du taux de change, comme la Grèce. Ce n’est d’ailleurs pas tant face au dollar américain que la hausse de l’euro pose un problème.
C’est surtout l’appréciation continue de l’euro face au yuan chinois qui constitue un sujet de préoccupation. La combinaison entre la faible inflation chinoise (la Chine exporte même de la déflation depuis peu), les subventions accrues de Pékin à l’égard de secteurs stratégiques qui se positionnent comme concurrents directs de l’Europe et la dépréciation accentuée du yuan met de nouveau la compétitivité européenne sous pression. C’est, malheureusement, un enjeu complètement négligé dans les sphères politiques. Nous devons comprendre que la Chine ne fait pas que copier à bas coût. Elle innove et peut jouer sur les trois facteurs de compétitivité mentionnés pour rendre ses produits plus attractifs. Elle a réussi à le faire dans un laps de temps record sur le créneau des véhicules électriques et hybrides où nous, Européens, étions pourtant convaincus d’avoir une avance décisive.
Des anticipations erronées
Mais la robustesse de l’euro pourrait n’être que temporaire. L’appréciation récente de l’euro s’explique en grande partie par des anticipations erronées des acteurs de marché. Ils parient sur le fait que la Banque Centrale Européenne (BCE) va poursuivre sa politique de hausse du loyer de l’argent pour lutter contre l’inflation alors que la Réserve Fédérale américaine (Fed) optera selon toute vraisemblance pour une pause après une ultime hausse le 26 juillet. Ce n’est qu’en mars 2024 que la Fed pourrait amorcer un cycle de baisse des taux pour soutenir son économie. Ce scénario n’est, pourtant, en rien certain. Klaas Knot, membre faucon (en faveur d’une politique monétaire restrictive) du Conseil des gouverneurs de la BCE, a confirmé cette semaine qu’une hausse des taux en zone euro au-delà de celle prévue la semaine prochaine était incertaine.
Le cycle de durcissement pourrait faire place à une longue pause plus vite que prévu. C’est cohérent avec les dernières statistiques sur le front de l’inflation. La désinflation est plus lente et hasardeuse qu’aux Etats-Unis. Mais elle est bien là. Les prix à la consommation chutent, en particulier la composante énergie, et l’indice des prix à la consommation harmonisé fine core, qui est un nouvel indicateur de la BCE permettant de mieux mesurer les pressions inflationnistes, est ressorti à 0% sur un mois en juin. C’est encourageant. Il n’est donc pas certain que la BCE souhaite, pour l’instant, aller au-delà alors que la dynamique de désinflation est bien engagée et que la croissance montre des signes de faiblesse. Il est donc peu probable que le sursaut de l’euro face au dollar américain soit durable. On peut espérer une stabilisation de la paire entre 1,05 et 1,12 pour le reste de l’année.
Cela ne résout pas le problème face au yuan chinois, toutefois. Mais on peut espérer que le gros de la dépréciation du yuan soit derrière nous. Ces dernières semaines, les banques publiques chinoises, qui ont accumulé un niveau impressionnant de réserves de change au cours des dernières années, sont intervenues sur les marchés onshore et offshore pour freiner la baisse du yuan. C’est le signe que les autorités chinoises sont mal à l’aise avec une dépréciation rapide de la monnaie et privilégient, comme toujours, un contrôle fin du taux de change. Cela pourrait permettre une prochaine stabilisation de la paire EUR/CNH, probablement au-delà du niveau de 8 euros pour un yuan.