C’est une décision qui fait grand bruit chez les magistrats financiers français. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) vient de reconnaître le statut de lanceur d’alerte à Raphaël Halet, l’un des Français à l’origine des fuites de documents dans l’affaire dite des « LuxLeaks » . La Grande Chambre de la CEDH, dont les arrêts sont définitifs, a condamné, le Luxembourg à lui verser des dommages et intérêts. Les juges ont estimé qu’il y avait eu « violation de la liberté d’expression d’un lanceur d’alerte en raison de sa condamnation pénale ».
L’affaire remonte aux années 2012-2014 : des déclarations et rescrits fiscaux établis par la firme d’audit PwC se sont retrouvés exposés au grand jour dans plusieurs médias. « Ces publications mettaient en lumière une pratique, sur une période s’étendant de 2002 à 2012, d’accords fiscaux très avantageux passés entre PwC pour le compte de sociétés multinationales et l’administration fiscale luxembourgeoise », décrit la CEDH.
Secret professionnel
Suite à ces révélations, une enquête interne de PwC a fait apparaître que Raphaël Halet, qui travaillait pour le cabinet d’audit, avait divulgué une partie des documents confidentiels – obtenus sur son lieu de travail – alors qu’ils étaient protégés par le secret professionnel. La firme a déposé plainte contre son employé et obtenu une condamnation : le Français, par ailleurs licencié, a dû payer une amende de 1.000 euros.
Raphaël Halet a alors invoqué devant la justice une « ingérence disproportionnée dans son droit à la liberté d’expression », mais a perdu en première instance devant la CEDH, en mai 2021. Il a alors porté l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour.
Dans l’arrêt rendu ce 14 février, cette dernière estime que l’intérêt public des révélations l’emporte sur leurs effets dommageables. La Cour indique vouloir, avec sa décision, « confirmer et consolider les principes qui se dégagent de sa jurisprudence en matière de protection des lanceurs d’alerte ».
Ses lignes directrices sont les suivantes : l’information divulguée était « authentique », l’informateur « de bonne foi » (il n’a agi ni pour s’enrichir ni pour nuire à son entreprise) et la transmission aux médias se justifiait au vu de l’intérêt public et du fait que ces « activités habituelles de l’entreprise n’ont en soi rien d’illégal ».
Débat sur l’évitement fiscal
La Cour insiste enfin sur la portée de l’affaire. Les documents ont permis d’apporter un « éclairage nouveau, dont il convient de ne pas minorer l’importance dans le contexte d’un débat sur l’évitement fiscal, la défiscalisation et l’évasion fiscale, en fournissant des renseignements à la fois sur le montant des bénéfices déclarés par les multinationales concernées, sur les choix politiques opérés au Luxembourg en matière de fiscalité des entreprises, ainsi que sur leurs incidences en termes d’équité et de justice fiscale, à l’échelle européenne et, en particulier en France ».
Pour mémoire, en 2017, à la suite des « LuxLeaks » et avec le concours de la Commission européenne, le Grand-Duché a changé ses règles, afin de lutter contre les montages fiscaux abusifs.