C’est un courrier peu banal qu’ont cosigné le 4 mai le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, et celui de la CGT, Philippe Martinez, au côté des numéros un de leurs fédérations de la santé, respectivement Eve Rescanière et Mireille Stivala. Dans celui-ci, ils demandent à la fédération syndicale internationale des services d’annuler purement et simplement l’accord mondial qu’elle a signé le 8 avril avec le groupe de maisons de retraite Orpea, dans la tourmente depuis les révélations faites par le journaliste Victor Castanet .
« Il est évident qu’UNI Global Union a commis une faute politique grave », écrivent les leaders syndicaux, ajoutant que « cet accord contribue à nuire à la vérité qui est mise en ce moment en lumière sur les tromperies du groupe ». « La CGT et la CFDT mais aussi FO sont engagés dans des contentieux lourds – annulation des élections, contestation de la représentativité du syndicat ‘maison’ Arc-en-ciel – et la répression et les discriminations continuent », souligne un syndicaliste au coeur du dossier qui constate que l’entreprise a déjà commencé à valoriser l’accord global dans sa communication.
« Une faute politique »
UNI Global Union interpellait depuis 2018 Orpea, présent dans 23 pays avec 70.000 salariés, explique aux « Echos » Christy Hoffman, sa secrétaire générale. Elle a saisi l’opportunité de la crise pour signer un accord. Ce texte « s’inscrit dans sa stratégie qui est depuis vingt ans de contracter avec les multinationales pour installer des syndicats dans toutes leurs filiales », note Arnaud Mias, professeur de sociologie à Paris-Dauphine, coauteur d’une étude sur les accords mondiaux d’entreprises françaises pour l’Organisation internationale du travail.
Christy Hoffman revendique pour sa part un caractère « contraignant » à l’accord, notamment en matière de reconnaissance syndicale, une priorité actée en 2014 en congrès, pointant l’existence d’une procédure d’arbitrage. Grâce à ce texte, « nos affiliés dans des pays tels que le Chili, la Colombie ou même la Pologne, posséderont des droits plus étendus », se défend UNI. Christy Hoffman affirme que « l’objectif d’UNI n’est pas que l’accord puisse être invoqué par Orpea dans ses litiges avec les syndicats ».
FO « n’a pas dit de ne pas signer »
« Pourquoi alors un accord mondial ? », interroge une syndicaliste française qui pointe les très faibles effectifs d’Orpea dans ces régions. La CFDT et la CGT soulignent que 60 % du chiffre d’affaires mondial du groupe concerne la seule zone France-Bénélux. Or, déplorent leurs leaders, « à aucun moment, [leurs syndicats] n’ont été informées d’un quelconque processus de négociation autour d’un quelconque accord, et pas davantage les délégués siégeant au comité d’entreprise européen ». Le syndicat de la santé privée de FO, seul syndicat de la santé français membre d’UNI, n’a pas plus été associé à la négociation. Consulté au même titre que les autres membres d’UNI, il « ne nous a pas dit de ne pas signer », a précisé Christy Hoffman .
UNI affirme que la fédération syndicale européenne de la santé – EPSU – lui a interdit de parler à la CFDT et à la CGT. L’argument interroge cependant car à notre connaissance, Uni n’a pas non plus informé clairement EPSU de sa volonté de négocier un accord avec Orpea, se contentant de lui proposer une « coopération approfondie » sur l’entreprise, qu’EPSU a déclinée.
Une réunion à Paris la semaine prochaine
Lorsque les fédérations de la santé CFDT et CGT, deuxième et quatrième syndicats d’Orpea, ont attaqué l’accord UNI-Orpea, Christy Hoffman a riposté en qualifiant de « décevant et honnêtement troublant que le processus démocratique entourant cet accord soit publiquement déformé ». Puis, face à l’ampleur de la fronde, le 22 avril, UNI a « regrett [é] que le moment choisi pour annoncer [l’accord] ait donné à certains l’impression erronée que cet accord visait à blanchir la réputation de l’entreprise ».
La réponse datée du 10 mai adressée par la numéro un d’UNI aux leaders de la CFDT et de la CGT, dont « Les Echos » ont eu copie, révèle son embarras : expliquant partager « les mêmes valeurs et objectifs syndicaux », elle propose aux syndicalistes français une réunion à Paris pour « échanger [leurs] points de vue sur cet accord et pouvoir restaurer [leur] relation ». La rencontre aura lieu le 18 mai. Les fédérations CFDT et CGT de la santé viendront accompagnées de représentants des fédérations de leurs centrales membres d’UNI.