L’été sera studieux à Bercy : avec 10 à 15 milliards d’euros d’économies à trouver pour le prochain projet de loi de finances pour 2024 qui sera présenté à l’automne, le gouvernement va devoir faire des choix douloureux pour entamer le redressement des comptes publics.
Mais cet effort n’est qu’un avant-goût de ce qui l’attend pour la suite du quinquennat : il va ainsi lui falloir dégager 60 milliards d’économies au total d’ici à 2027 pour tenir ses objectifs budgétaires. Et encore, cela ne sera pas nécessairement suffisant pour ramener le déficit public sous la barre des 3 % du PIB à cet horizon, un niveau qui mettrait de toute façon la France à la remorque de ses partenaires européens. C’est ce qui ressort du rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques que la Cour des comptes publie ce jeudi.
Dernier de la classe en Europe
« Ramener le déficit à significativement moins de 3 % du PIB en 2027 est un objectif atteignable mais il faut pour cela un effort très substantiel sur la dépense publique. Et ce d’autant plus que les hypothèses économiques sur la croissance sont susceptibles de susciter de la déception », a prévenu jeudi lors d’une conférence de presse Pierre Moscovici, le Premier président de la Cour des comptes.
Pour arriver à cette analyse, la Cour des comptes s’est plongée dans le programme de stabilité (PSTAB) que le gouvernement a envoyé à Bruxelles en avril dernier, sorte de feuille de route budgétaire d’ici à 2026. Toute la zone euro se plie à cet exercice, ce qui permet de faire des comparaisons. Parmi les huit grands pays, « la France serait le seul pays à ne pas avoir un déficit sous les 3 % en 2026 alors même que l’Italie ou l’Espagne partent de niveaux de déficits plus élevés en 2022 », est-il souligné dans le rapport.
Plus inquiétant encore, si le gouvernement paradait au printemps en expliquant que ce PSTAB consacrait l’accélération du désendettement du pays – avec l’objectif de ramener la dette à 108,3 % du PIB en 2027 – celle-ci doit être relativisée : la France resterait d’ici à 2026 environ 12 points au-dessus de son niveau d’avant la crise du Covid, soit l’écart le plus important des huit principaux pays de la zone euro. La comparaison est également cruelle avec le Portugal : celui-ci était plus endetté que la France en 2019 (116,6 % contre 97,4 %) mais vise le seuil de 95,6 % en 2026, soit un niveau inférieur de 15 points de PIB à celui de la France. « Il y a un risque de divergence française au sein de la zone euro », alerte Pierre Moscovici.
Objectifs lointains
Si la Cour des comptes regrette visiblement le manque d’ambition de la stratégie du gouvernement, elle juge en outre que les objectifs affichés seront difficiles à tenir. Deux écueils sont pointés. D’abord les prévisions de croissance du gouvernement d’ici à la fin du quinquennat, jugées « optimistes » par les sages budgétaires avec « une croissance moyenne prévue sur 2024-2027 supérieure de 0,3 point à celle du consensus des économistes ».
A cela s’ajoute surtout le chantier de la dépense publique à qui Bercy promet « une maîtrise inédite » selon la Cour. Si l’on exclut la charge d’intérêt – promise à une forte hausse – et les mesures de relance ou de soutien, il faudrait une progression en volume (hors inflation) de 0,4 % par an entre 2023 et 2027. Cela a pu arriver par le passé – en 2015 ou en 2018 – mais « il serait inédit qu’une telle modération s’impose quatre années de suite ».
Economies massives
La Cour compare cet objectif avec ce qui s’est passé lors de la décennie précédente avant la crise sanitaire, entre 2010 et 2019, période durant laquelle la dépense publique avait grimpé de 1,2 %. « Ramener le taux de croissance de la dépense de 1,2 % à 0,4 % signifie qu’il faut trouver chaque année 12 milliards d’économies soit, en cumulé à l’horizon 2027, près de 60 milliards d’euros », est-il écrit dans le rapport. « On n’arrivera pas à un effort de cette ampleur si on ne mène pas une revue des dépenses sur la durée », prévient Pierre Moscovici, qui fait des propositions en la matière dans le rapport.
A contrario, la marche est si haute qu’une « nouvelle baisse discrétionnaire des prélèvements obligatoires ne paraît pas judicieuse » selon le document. Emmanuel Macron, qui a affirmé vouloir baisser les impôts de 2 milliards d’euros pour les classes moyennes , appréciera.
En tout état de cause, ces deux montagnes qui se dressent devant les ambitions gouvernementales pourraient radicalement changer le paysage budgétaire à l’horizon 2027. La Cour des comptes a calculé l’impact d’une croissance moins forte que prévu (1,4 % par an entre 2024 et 2027 comme le prévoient les économistes, et non le +1,7 % de Bercy) et d’une maîtrise de la dépense moitié moindre que ce qui est anticipé : cela « aboutirait à une dette de 116,1 points de PIB en 2027, soit près de 8 points au-dessus du scénario » du gouvernement.