Argent encore disponible longtemps après la liquidation judiciaire, absence de justificatifs permettant de vérifier sur pièces, comptes particuliers créditeurs non autorisés, passifs gonflés artificiellement… La lecture de la plainte déposée par l’Association patronale de garantie des salaires (AGS) mi-décembre 2019 et relancée mi-2020 donne corps aux soupçons de fraude qui entourent les pratiques de certains mandataires judiciaires depuis des années.
Cette plainte des chefs d’abus de confiance, de faux et usage de faux et de recel à laquelle « Les Echos » ont eu accès émane de l’AGS et de son bras opérationnel, la DUA. Pour des raisons historiques, la DUA est un établissement de l’Unédic, le régime paritaire d’assurance-chômage.
Précision importante, martèlent l’Unédic, le Medef et la CFDT : ces plaintes n’ont aucun lien avec le licenciement en cours de la directrice nationale de la DUA, Houria Aouimeur , même si c’est elle qui en est à l’origine, ayant reçu mandat, lors de son embauche fin 2018, de faire le ménage.
Le précédent LIP
Créée en 1973 dans la foulée de la retentissante faillite du fabricant de montres LIP, l’AGS est un véritable amortisseur social. Financée par une cotisation employeur, l’association prend en charge les rémunérations quand il n’y a plus assez d’argent dans les caisses. Du fait de son rang de créancier privilégié, elle en récupère une partie si le plan de redressement ou la vente des meubles, en cas de liquidation, le permet.
Si Houria Aouimeur a été nommée, c’est parce que l’AGS (et donc le Medef) constatait depuis quelque temps que de l’argent revenait de moins en moins. Le cabinet Advolis, puis les services internes de la DUA, enquêtent alors pour s’assurer de l’usage des fonds. Ces audits épinglent des pratiques plus que douteuses de mandataires judiciaires, quatre en particulier, dont c’est pourtant la mission de défendre les intérêts des créanciers.
Exemple avec ce Syndic parisien dont la liquidation judiciaire a été prononcée fin 2007. Le dossier a été placé en pertes pour l’AGS alors que les audits ont montré que dix ans plus tard le compte de répartition (qui regroupe les sommes tirés des actifs à répartir entre créanciers selon leur rang) était créditeur de 123.019 euros. De quoi rembourser une partie de la créance superprivilégiée de l’AGS (qui était de 345.000 euros).
Autre exemple, ce fabricant nordiste de matériel de transport qui a fermé boutique en 2010. En mars 2019, alors que le compte de répartition était créditeur de 590.000 euros, le mandataire chargé du dossier assure à l’AGS ne pas pouvoir le rembourser, l’argent disponible devant couvrir ses frais, ceux de l’administrateur judiciaire et du commissaire-priseur. Vérification faite, il n’y en a « que » pour 361.000 euros.
Volonté de fraude délibérée
« La retenue pendant plusieurs années de fonds importants au prétexte de régler des rémunérations pour des montants moindres n’ayant pas vocation à être prélevés sur les sommes à restituer à l’AGS […] paraît dès lors résulter d’une volonté délibérée de faire de ces fonds un usage contraire à celui qui présidait à leur remise », peut-on lire dans la plainte. Et encore, dans le cas de cet industriel, l’audit a trouvé les éléments recherchés dans les archives du greffe.
Dans de nombreux autres dossiers, comme pour ce chantier naval coulé en 2010, les décisions judiciaires fixant les émoluments sont introuvables… C’est aussi le cas de cette association d’auxiliaires de vie qui a fermé boutique en 2012. Six ans plus tard, un tribunal prononce une clôture pour insuffisance d’actif alors qu’il « ressort de ce jugement qu’en réalité le compte de répartition présentait un solde positif de quelque 556.995,74 euros qui aurait dû permettre de désintéresser en totalité l’AGS de sa créance superprivilégiée de près de 300.000 euros ».
Problème : rien n’est remonté depuis 2019. Pire, la consultation des rapports de liquidation au greffe n’a pas été possible, le mandataire ne les ayant pas remis. Que penser enfin, de cette compagnie aérienne, clouée au sol au début des années 2000, dont le rapport de liquidation n’est pas consultable au greffe qui déclare pourtant l’avoir archivé.