En 21 mois d’épidémie, on a compris l’importance de maintenir l’école ouverte , mais on n’a toujours pas trouvé la recette pour éviter que le Covid s’y diffuse. Or la cinquième vague grimpe toujours, alimentée par un taux d’incidence très élevé chez les moins de 12 ans, qui ne sont pas vaccinés : près de 1 % des écoliers du primaire (6-10 ans) étaient touchés dans la semaine du 29 novembre au 5 décembre.
Une nouvelle étude scientifique internationale pilotée par Vittoria Colizza, à l’Inserm , montre que pour éviter de perdre trop de jours de classe , il serait beaucoup plus efficace de changer de stratégie et d’instaurer un dépistage régulier des élèves – par exemple toutes les semaines, et à condition qu’au moins la moitié d’entre eux s’y soumettent.
Aujourd’hui, on teste tous les écoliers si un cas positif survient. Celui-ci est isolé, ainsi que les élèves qui refusent d’être testés. La classe ferme au bout de trois cas positifs. C’est la stratégie du « dépistage réactif ». Elle constitue déjà une avancée dans la lutte contre l’épidémie, plutôt que de se contenter de tester un ou quelques cas symptomatiques, puis de les isoler (« stratégie basique »), ou bien de mettre en quarantaine l’ensemble de la classe (stratégie de « quarantaine réactive »).
Un gain de 63 % à 80 % des jours ouvrés à l’école
« Bien qu’il permette de détecter plus de cas, le dépistage régulier entraîne une faible hausse des journées de cours perdues » par rapport à la « stratégie basique », selon les chercheurs : elles croissent d’un facteur inférieur à 6,6. Mais la stratégie basique provoque de dégâts collatéraux, puisque l’épidémie se diffuse dans l’établissement à bas bruit, puis dans les familles.
Le dépistage régulier permet au contraire un gain de 63 % à 80 % des jours ouvrés à l’école par rapport à une « stratégie de quarantaine réactive », « puisque seuls les cas détectés sont soumis à l’isolement », poursuit l’étude.
Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs ont observé les interactions scolaires au printemps, dans deux groupes d’âge, les écoliers et les lycéens. Ils ont transposé ces observations sous l’empire du variant Alpha à la situation actuelle où Delta domine, avec une transmissibilité accrue. Il a été estimé qu’en primaire, chaque cas positif infectait 1,66 à 1,70 camarade, et au lycée, entre 1,10 et 1,13. Les lycéens se contaminent moins, car en France, les adolescents sont largement vaccinés, bien plus que la moyenne en Europe.
« Nous avons trouvé qu’avec une adhésion de 50 % [de l’effectif de la classe] au dépistage, c’est-à-dire approximativement la valeur enregistrée dans les écoles primaires françaises, le dépistage hebdomadaire réduirait le nombre de cas de 21 % dans le primaire et de 26 % dans le secondaire, en comparaison du seul dépistage basé sur les symptômes », exposent les chercheurs. A 75 % d’adhésion, les scores seraient de 34 % et 36 % respectivement, et le même résultat pourrait être atteint avec 50 % d’élèves acceptant de se faire tester deux fois par semaine.
L’inconnue Omicron
Ce n’est pas la première fois que Vittoria Colizza et ses coauteurs (Arnaud Fontanet, Simon Cauchemez…) recommandent de mettre en place un dépistage systématique et régulier dans les établissements scolaires. Le gouvernement a d’ailleurs fait plusieurs annonces en ce sens, sans jamais parvenir à ses fins.
Le ministère de la Santé pousse ses stocks de tests – notamment ceux qui n’ont jamais été utilisés par les collectivités territoriales ayant échoué en 2020 à mener des opérations de dépistage massif. Mais l’Education nationale réclame aussi des personnels qualifiés pour tester. Or on manque de soignants. C’est un dialogue de sourds. Résultat, la méfiance règne, avec seulement 10 % des collégiens qui acceptent de se faire dépister et 6 % des lycéens.
Par ailleurs, l’étude pointe l’intérêt de la vaccination des enfants , sur laquelle la Haute autorité de santé devrait se prononcer la semaine prochaine. C’est « un fort facteur de protection contre les foyers épidémiques à l’école » : avec 20 % des enfants couverts, on pourrait diminuer la taille de l’épidémie de 38 %, et à 50 % de couverture, on la réduirait de 75 %. « Tester chaque semaine 75 % des non-vaccinés réduirait le nombre de cas d’un facteur supplémentaire de 36 % avec 20 % de couverture, et de 23 % avec 50 % de couverture », ajoutent les chercheurs.
Des projections qu’il faut cependant tempérer à l’heure où un nouveau variant prend son essor. Omicron pourrait devenir dominant dans un mois et demi en France. Or il est très probable qu’il faille trois doses pour s’en prémunir. Un parcours vaccinal lourd et long, qui ne rendrait la vaccination efficace auprès des enfants que d’ici plusieurs mois. Il serait peut-être préférable, estiment certains experts, d’attendre la commercialisation de vaccins spécialement adaptés pour Omicron.