Cinq mois. C’est le temps qu’il reste au gouvernement avant que la lutte contre les trafics de stupéfiants ne subisse un coup d’arrêt. Le 1er septembre, l’un des piliers du code des douanes va être abrogé : il s’agit de l’article 60, qui permet aux agents de fouiller les véhicules et personnes transportant des marchandises.
Cet article, qui n’a jamais été modifié depuis 1948, stipule que les douaniers peuvent intervenir « sans accord de la personne concernée, ni autorisation préalable de l’autorité judiciaire » et sans disposer d’indice d’une infraction. Ce cadre d’intervention très souple tient à la nature même de la mission douanière, qui vise des produits de contrebande, donc des marchandises dissimulées.
Des changements loin d’être anodins
Comme l’a révélé « Le Canard enchaîné », c’est la découverte de 47.000 euros en petites coupures cachés dans la portière d’une voiture à un péage d’autoroute, en 2019, qui a amené le Conseil constitutionnel à se pencher sur les conditions dans lesquelles sont effectuées les fouilles des douanes. Saisis par l’avocat de l’automobiliste, les Sages ont jugé en septembre dernier que l’article 60 présentait un risque d’atteinte à la liberté d’aller et venir et au respect de la vie privée. Ils ont donné un an à l’exécutif pour modifier l’article contraire, selon eux, à la Constitution.
Après des mois de travaux, Bercy vient de présenter sa copie au Conseil d’Etat. Objectif : faire promulguer une loi sur les douanes en juillet.
Le nouveau texte prévoit que, en dehors du « rayon » d’action aux abords des frontières (qui sera porté à 40 kilomètres au lieu de 20 aujourd’hui), les douaniers devront soit procéder à une information préalable du Parquet, soit pouvoir justifier de « raisons plausibles de soupçonner une infraction ».
L’article révisé rappelle aussi que le maintien à disposition des personnes n’est possible que le temps « strictement nécessaire aux opérations de visite ». Il figera dans la loi la jurisprudence selon laquelle, au-delà de quatre heures, les douaniers doivent prévenir le procureur.
Des changements qui sont loin d’être anodins pour la profession. « Cela va rendre le métier incontestablement plus compliqué », confie un agent de Bercy. Certes les douaniers évitent la demande d’autorisation préalable d’un juge mais, jusqu’ici, ils n’en référaient pas du tout à la justice. Par ailleurs, ils craignent que la notion de « raisons plausibles » n’entraîne des contestations. « Un véhicule inhabituel, un trajet illogique seront-ils reconnus comme des raisons plausibles ? » s’interroge le même agent.
Saisies de cocaïne annulées
Les 10.000 douaniers qui effectuent ces contrôles ont déjà constaté les effets délétères de la décision du Conseil constitutionnel : depuis l’automne dernier, diverses procédures en justice ont été perdues par les douanes, entraînant l’annulation de saisies de cocaïne ou de cannabis.
« C’est un équilibre qui me paraît nécessaire et sain, et qui n’entravera pas vos procédures », a pour sa part assuré le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, en présentant la réforme ce lundi matin. « Ce projet de loi complétera enfin l’arsenal juridique de la douane avec, par exemple, la création d’une réserve opérationnelle – alors que la douane était la seule force de sécurité qui n’en disposait pas encore », a-t-il souligné. Le ministre a aussi évoqué « de nouveaux outils de lutte contre la cyberdélinquance ou encore la fraude liée aux plateformes ».
Le texte propose d’autoriser la retenue temporaire des sommes d’argent liquide à l’intérieur du territoire, en cas d’indices en lien avec une activité criminelle, et de faciliter les saisies de cryptoactifs. Il est aussi question, à titre expérimental, d’étendre la durée de conservation des données des lecteurs automatisés des plaques d’immatriculation (Lapi), ces caméras intelligentes utilisées contre les « go fast ».