Comment attirer les médecins dans les déserts médicaux ? Avec environ un Français sur dix vivant en zone sous-dotée en praticiens , et des tensions qui surgissent un peu partout, la question tracasse les responsables politiques. Chaque année, des parlementaires essaient de mettre fin à la liberté d’installation. Des élus locaux n’hésitent pas à proposer des packages très intéressants pour faire venir des soignants. Et les pouvoirs publics multiplient les dispositifs incitatifs.
La direction des études du ministère de la Santé (Drees) s’est penchée sur le sujet. Elle publie ce jeudi une étude dont la conclusion est catégorique : les incitations financières ne suffisent pas à attirer les médecins. Il faut, insiste-t-elle après avoir étudié les expériences menées dans plusieurs pays, « agir sur l’ensemble des conditions d’exercice ».
Opportunisme financier
Les médecins sont avant tout sensibles à « d’autres aspects non pécuniaires de l’exercice professionnel », soulignent les chercheurs. Ils ne veulent pas crouler sous le travail ou rester isolés. Influer sur leurs choix par le biais d’incitations financières nécessiterait des augmentations de revenu extrêmement élevées pour compenser des conditions d’exercice considérées comme désavantageuses (nombre d’heures élevé, permanences nombreuses, localisation dans une zone peu dense…).
De plus, la motivation s’épuise quand l’opportunité financière prend fin. Aux Etats-Unis, depuis 1970, les étudiants en médecine du National Health Service Corps bénéficient d’aides financières à condition de s’installer dans des zones rurales ou mal desservies. Las, une étude publiée en 1992 avait montré qu’ils étaient beaucoup moins susceptibles que les autres de rester sur place après avoir rempli leur engagement : après huit ans, 12 % étaient encore au même endroit, contre… 39 % pour les autres médecins, et 29 % pratiquaient en zone rurale, versus 52 %.
En France, les incitations financières à l’installation rencontrent un succès limité. En 2016, un forfait de 50.000 euros a été instauré par l’Assurance-maladie en contrepartie d’une installation de cinq ans sur le territoire ciblé. Trois ans après, seuls 859 contrats étaient actifs. La prime pour le maintien sur place sous condition de travail coordonné a eu un peu plus d’écho, avec 2.004 bénéficiaires, mais d’autres aides n’ont pas du tout percé (parrainage d’un potentiel successeur, aides ponctuelles de médecins venus de zones bien dotées).
Les agences régionales de santé offrent aussi des contrats de praticien territorial à des jeunes pour s’installer en échange d’une protection sociale améliorée et d’une garantie de revenus. Seuls 274 généralistes étaient engagés en mai 2019. Enfin, les étudiants s’engageant à exercer au tarif de la Sécurité sociale en zone sous-dotée peuvent recevoir des bourses d’études. En huit ans, 2.700 ont signé alors que 4.000 contrats avaient été proposés.
Former des médecins issus de communautés défavorisées
Quels leviers faudrait-il actionner pour attirer les médecins, alors ? La Drees en évoque principalement trois. D’abord, la formation initiale : les pays qui ont favorisé l’accès aux études de médecine de personnes issues de communautés défavorisées en termes d’accès aux soins ont réussi à sédentariser des médecins au coeur de ces populations.
Par ailleurs, contraindre la liberté d’installation fonctionne bien, sans éviter les pénuries localisées. Il faudrait aussi étudier l’impact de mesures d’accompagnement, telles que la suppression des astreintes et des gardes pour les seniors, ou l’aide à trouver un remplaçant pour prendre des vacances.