Une crise sociale majeure, celle des « Gilets jaunes », trois confinements sanitaires précédés ou suivis par des périodes de couvre-feu et, à l’arrivée, un taux de chômage au plus bas depuis 2008 , à 7,4 % de la population active. Le nombre d’inscrits à Pôle emploi sans activité est repassé sous la barre des trois millions en France métropolitaine, pour la première fois en cinq ans. L’emploi salarié, lui, a franchi celle des 20 millions, une première.
Nonobstant les conséquences de la guerre en Ukraine, dont l’ampleur restait inconnue au moment de l’écriture de cet article, ces trois indicateurs macroéconomiques, qui ne disent pas tout mais beaucoup quand même, montrent que la situation du marché du travail est meilleure en fin de quinquennat qu’au début. Même si Pôle emploi en relativise l’ampleur , les difficultés de recrutement restent un énorme caillou dans la vie des entreprises, mais sont avant tout le signe du dynamisme des embauches. La Banque de France y voyait, en tout cas avant le déclenchement de l’offensive russe, « Le » frein principal à la croissance potentielle de l’économie tricolore.
Qui l’aurait cru à l’été 2020, quand la plupart des économistes prévoyaient un tsunami de licenciements ? Personne. Ni il y a un an encore. Inédite, la crise du Covid n’a pas endommagé l’appareil productif de biens et de services, quand bien même elle l’a désorganisé. Les dizaines de milliards du « quoi qu’il en coûte » avec, en particulier, un recours massif à l’activité partielle – ce qui, rétrospectivement, a dramatiquement manqué en 2008 – ont joué leur rôle : protéger le temps que ça passe.
Pour le gouvernement sortant, tout cela est aussi le fruit de la flexibilité insufflée dans le Code du travail avec les ordonnances de 2017 (barème des prud’hommes, licenciements économiques des grands groupes, rupture conventionnelle collective, primauté des accords d’entreprise, etc.) qui ont permis de lever des freins à l’embauche, et de la politique de baisse du coût du travail poursuivie après les mesures engagées sous François Hollande. Si les jeunes n’ont jamais autant été en emploi, ne cherchez pas poursuit-il : c’est la réforme Pénicaud de l’apprentissage , (bien aidée par les primes à l’embauches du plan de relance) qui s’est soldée par 720.000 contrats signés en 2021, avec au passage un rebond très net aux niveaux de diplômes BAC ou infra.
Les économistes estiment que le niveau record du taux d’emploi a été atteint au détriment de la productivité de l’économie.
Pour les effets de la réforme de l’assurance-chômage , dont l’accouchement a été laborieux, il faudra attendre en revanche. Ses mesures phares – nouvelle formule de calcul de l’allocation, dégressivité et bonus-malus sur la cotisation patronale – n’offrent pas assez de recul pour juger si elles vont réduire le recours aux contrats courts. Même constat pour le Contrat d’engagement jeune entré en vigueur le 1er mars.
Pour meilleur qu’il est, l’état du marché du travail n’en reste pas moins loin de son optimum, après lequel la France court depuis le 2e choc pétrolier. En témoigne par exemple le nombre de personnes inscrites à Pôle emploi, sans ou en activité : ils étaient encore 5,5 millions fin janvier. Autre façon de compter, le halo du chômage – 1,9 million selon l’Insee – qui regroupe celles qui souhaitent un emploi sans être considérées au chômage, parce qu’elles ne sont pas disponibles par exemple.
Elan supplémentaire
Les économistes, enfin, estiment que le niveau record du taux d’emploi a été atteint au détriment de la productivité de l’économie. « Attention au retour à la normale », prévient le directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, Eric Heyer, qui met en avant un taux de chômage un peu trop bas par rapport au niveau d’activité. Si la croissance se maintient en 2022, elle risque donc d’être moins riche en emplois.
Pour le prochain exécutif, l’enjeu sera de trouver les leviers, réglementaires ou fiscaux notamment, à même de donner un élan supplémentaire aux embauches. Améliorer le taux d’emploi passera sans doute aussi par une grande réforme de l’orientation des jeunes et des lycées professionnels pour que leurs taux d’insertion se mettent au niveau de ceux des Centre de formation d’apprentis. A l’autre bout de la pyramide des âges, le chantier retraites, et donc emploi des seniors, pourra difficilement être évité.
Plus que de réformes structurelles, ce dont le marché du Travail a le plus besoin, ce sont de mesures améliorant l’efficacité des politiques publiques, estime Philippe Martin, président du Conseil d’analyse économique et professeur à Sciences Po. « Pour qu’offre et demande du travail se rencontrent plus et mieux », plaide-t-il. Sur ce chapitre, revoir le partage des tâches entre Pôle emploi, les Régions, l’Etat et les partenaires sociaux pour la formation des chômeurs, ne sera pas du luxe compte tenu de sa complexité.