C’est une opération d’envergure. Les locaux de cinq grandes banques en France ont été perquisitionnés mardi, dans le cadre d’enquêtes ouvertes par le Parquet national financier (PNF) sur des soupçons de fraude fiscale aggravée et de blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée.
Pas moins de 160 enquêteurs rattachés à Bercy ont été dépêchés simultanément chez BNP Paribas et sa filiale Exane, Société Générale, Natixis et HSBC, à Paris et dans le quartier d’affaires de la Défense essentiellement, selon des informations du « Monde » confirmées par le PNF.
L’opération a par ailleurs mobilisé 16 des 19 magistrats du Parquet financier, ainsi que plusieurs magistrats allemands, concernés par ce scandale. Les banques n’ont pas encore commenté à ce stade, à l’exception de Société Générale, qui a reconnu que des perquisitions étaient en cours à La Défense.
Gain fiscal
Les enquêtes portent sur des pratiques de fraude aux dividendes, appelées « CumCum » . Ces montages permettent à des investisseurs non-résidents en France d’échapper à la taxe sur les dividendes sur les actions d’entreprises françaises cotées.
Le procédé consiste à transférer la propriété des titres à une banque tricolore au moment où le coupon est détaché, pour les récupérer ultérieurement, avec le dividende. Les banques, étant domiciliées en France, ne payent pas d’impôts sur le dividende perçu. Le gain fiscal peut ensuite être partagé entre la banque et l’investisseur.
Un redressement de plus de 1 milliard d’euros
Cette pratique avait été identifiée dès 2017 par l’administration fiscale française. Des premiers redressements fiscaux avaient été opérés en 2021 par la Direction générale des finances publiques (DGFiP), qui a lancé sept procédures à l’encontre d’établissements financiers, comme « Les Echos » l’avaient révélé. Le dossier a ensuite été confié au PNF, qui a lancé une enquête pénale.
Le redressement notifié sur les cinq banques perquisitionnées dépasse 1 milliard d’euros (pénalités comprises). Selon une source proche du dossier, une sixième enquête sur cette fraude aux dividendes est par ailleurs en cours.
Les opérations risquent de durer plusieurs jours tant les volumes de données à récupérer sont importantsUne source proche du dossier
« Les opérations démarrées ce mardi risquent de durer plusieurs jours tant les volumes de données à récupérer sont importants, indique la même source. Les copies à effectuer se comptent en téraoctets et portent sur des transactions financières complexes. »
Les opérations de prêts-emprunts de titres et de produits dérivés effectuées par les salles de marchés des banques seront ensuite passées au peigne fin pour démêler celles qui ont une véritable utilité économique de celles qui ont été réalisées à des fins d’évitement de l’impôt. « La phase d’analyse sera très longue », poursuit la même source.
Opérations de prêts de titres
Un collectif de contribuables emmené par le député socialiste Boris Vallaud avait porté plainte contre X fin 2018 pour blanchiment de fraude fiscale et escroquerie aggravée. Leur avocate avait espoir d’arriver à identifier les bénéficiaires effectifs des opérations et de les faire condamner.
La majorité des banques incriminées a toujours contesté toute irrégularité dans l’affaire, rappelant régulièrement leur contribution à l’impôt en France. En 2021, devant le sénat, la Fédération bancaire française (FBF) avait insisté sur le fait que les montages financiers mis en cause servent à des opérations de couvertures de risque et d’apports de liquidités aux marchés. Lors de cette audition, un représentant du gendarme boursier avait lui aussi rappelé que « les prêts de titres sont utiles au bon fonctionnement du marché ».
Seul un établissement a reconnu les faits et accepté un redressement fiscal, a indiqué l’un des directeurs de l’administration devant les sénateurs. Une transaction au titre d’un « règlement d’ensemble » pourrait avoir été conclue. Son montant n’est pas connu, pas plus que l’identité de la banque qui peut, en outre, toujours être poursuivie au pénal.
L’affaire revêt une portée politique. La sénatrice Nathalie Goulet (Union centriste) accuse le gouvernement de faire preuve d’un « insupportable laxisme » sur ce sujet, alors que les différents dispositifs proposés pour lutter contre cette fraude – y compris la révision des conventions fiscales avec certains Etats du Golfe – ont été rejetés.
Ces montages sont aussi dans le viseur d’un nombre croissant de juridictions en Europe. C’est le cas notamment aux Pays-Bas, où la banque ABN AMRO a d’ores et déjà effectué des provisions en cas de litige, mais aussi en Allemagne, où de très nombreuses enquêtes sont en cours.
Outre-Rhin, le parquet est également à la manoeuvre sur des montages similaires appelés « Cum ex ». Un vaste scandale de fraude fiscale, qui aurait coûté 35 milliards d’euros en manque à gagner pour le fisc allemand. Dans le cadre de cette affaire, des perquisitions ont également été menées dans les locaux de BNP Paribas à Francfort.