Impôts : le cabinet de conseil McKinsey au coeur d’une nouvelle polémique

La star des cabinets de conseil n'a pas payé d'impôt sur les sociétés en France depuis au moins dix ans, affirme une commission d'enquête sénatoriale. Celle-ci l'accuse d'avoir joué sur les « prix de transfert ». Les oppositions réclament des comptes à Macron.


En janvier dernier, l’audition du directeur associé du cabinet de conseil McKinsey par une commission d’enquête du Sénat avait fait grand bruit. Au coeur des débats : le contrat de près de 500.000 euros facturé par la firme américaine à l’Education nationale. La réponse du dirigeant – indiquant que la somme correspondait à « l’organisation d’un séminaire pour réfléchir aux grandes tendances des évolutions du secteur » – avait déclenché une polémique. C’est désormais une autre controverse que doit affronter le prestigieux cabinet. Celle-ci concerne ses impôts.

La commission d’enquête conduite par les sénateurs Arnaud Bazin et Eliane Assassi reproche en effet à McKinsey de ne pas avoir payé d’impôt sur les sociétés en France depuis au moins dix ans. Dans le cadre de ses investigations, deux contrôles sur pièces et sur place ont été menés au ministère de l’Economie et des finances.

Les sénateurs se sont penchés sur les documents relatifs aux années 2011 à 2020, concernant les deux principales entités de McKinsey enregistrées en France : McKinsey & Company Inc. France et McKinsey & Company SAS. « Le constat est clair : le cabinet McKinsey est bien assujetti à l’impôt sur les sociétés (IS) en France mais ses versements s’établissent à zéro euro depuis au moins 10 ans, alors que son chiffre d’affaires sur le territoire national atteint 329 millions d’euros en 2020, dont environ 5 % dans le secteur public, et qu’il y emploie environ 600 salariés », tacle le rapport des sénateurs.

Prix de transfert

En cause : le recours à l’optimisation fiscale, qualifié ici d’« exemple caricatural » par les sénateurs. Ils détaillent : les entités françaises de McKinsey – qui sont des « établissements stables » au sens fiscal – versent des « prix de transfert » à la société mère basée au Delaware, pour compenser des dépenses mutualisées au sein du groupe, à savoir les frais d’administration générale, l’usage de la marque, l’assistance interne au sein du réseau, la mise à disposition de personnels, etc.

Pour mémoire, les prix de transfert sont des transactions réalisées entre différentes entités d’un groupe, dont certaines sont potentiellement situées dans des juridictions où la fiscalité est faible. Cette mécanique peut donc permettre de réduire la base imposable dans le pays où les impôts sont élevés, là où se trouve en général l’activité, le personnel, etc.

« En l’espèce, les prix de transfert que les entités françaises de McKinsey versent à la société américaine sont d’un montant tel qu’ils participent à rendre le résultat fiscal en France nul ou négatif, depuis au moins 10 ans », fustige le rapport de la commission sénatoriale.

Comme le rappellent les sénateurs, s’ils ne sont pas en eux-mêmes illégaux, les prix de transfert doivent respecter le principe de pleine concurrence. Cela signifie que le prix pratiqué entre des entreprises dépendantes (en l’espèce, les entités de McKinsey installées en France et la maison mère basée au Delaware) « doit être le même que celui qui aurait été pratiqué sur le marché entre deux entreprises indépendantes ». Des prix de transfert surévalués représentent donc une irrégularité fiscale.

L’administration fiscale doit donc effectivement vérifier que les schémas respectent les règles. Elle vérifie que « les entreprises implantées sur leur territoire et qui commercent avec d’autres entreprises liées et implantées à l’étranger sont correctement rémunérées pour les opérations réalisées et déclarent la juste part du résultat devant leur revenir eu égard aux activités déployées », est-il écrit dans le bulletin officiel du fisc.

Je le dis très nettement : nous payons l’impôt sur les sociétés en France et l’ensemble des salaires sont dans une société de droit français qui paie ses impôts en France »

Karim Tadjeddine, Directeur associé de McKinsey

La polémique autour de McKinsey s’annonce d’autant plus vive que, devant les parlementaires, le dirigeant de la firme avait eu ces mots : « Je le dis très nettement : nous payons l’impôt sur les sociétés en France et l’ensemble des salaires sont dans une société de droit français qui paie ses impôts en France ».

Entité au Delaware

Il avait précisé que « le cabinet emploie ses salariés en contrat de travail de droit français, est immatriculé au registre du commerce et des sociétés (RCS) et respecte l’ensemble des règles fiscales et sociales françaises applicables aux sociétés – c’est d’ailleurs un préalable pour répondre aux appels d’offres publics ».

Le directeur associé avait ajouté que l’entreprise était organisée en « succursale rapportant à l’entité mère basée au Delaware mais l’ensemble de nos activités, dans les secteurs publics et privés, et l’ensemble des contrats de travail sont portés par cette société de droit français ».

Les sénateurs avertissent : « ces déclarations sont susceptibles de constituer un faux témoignage devant une commission d’enquête. Elles impliquent de signaler les faits au Procureur de la République […] »

Interrogé jeudi par «Les Echos», le cabinet assure «respecter l’ensemble des règles fiscales et sociales françaises applicables». Il fait savoir qu’entre 2011 et 2020, McKinsey France a payé de l’ordre de 422 millions d’euros d’impôts et de charges sociales. Il ne parle pas précisément de l’impôt sur les sociétés. «S’agissant des prix de transferts, McKinsey a une approche qui n’est pas spécifique à la France et qui s’applique aux différents pays où il est présent; cette approche est connue de l’administration fiscale française», ajoute-t-il.

Pécresse demande des explications

Cette affaire est du pain béni pour les opposants du président candidat. «Emmanuel Macron doit s’expliquer», a lancé la candidate LR Valérie Pécresse sur Twitter. «Comment pouvait-il ne pas le savoir ? Le Président sortant doit rendre des comptes».

Dans la même veine, Xavier Bertrand, l’un de ses conseillers, a interrogé : «Comment le gouvernement a pu confier une cinquantaine de missions à un cabinet qui ne paye pas d’impôts sur les sociétés depuis 10 ans ? Pourquoi n’a-t-il pas procédé à ces vérifications ? Pourquoi faut-il attendre que le Sénat s’en saisisse ?»

Le candidat écologiste Yannick Jadot a lui dénoncé «une dérive totale de la place des cabinets de conseil, y compris américains, qui sont au coeur des politiques publiques françaises». «Décidément ce gouvernement est pris dans le pot de miel des cabinets d’experts américains et de l’évasion fiscale», a-t-il ajouté. «La Macronie préfère envoyer vos impôts au Delaware», a fustigé dans un tweet le député LFI François Ruffin.

Hausse des dépenses des ministères

Outre cet enjeu fiscal lié à la firme américaine, le rapport de la commission d’enquête sénatoriale a surtout pointé la forte hausse des dépenses de conseil des ministères, ce qui était précisément l’objet de sa mission. Les dépenses ont atteint près de 900 millions d’euros en 2021, contre moins de 400 millions en 2018.

Interrogé par des journalistes à ce sujet jeudi lors de la présentation de son programme présidentiel, Emmanuel Macron a dit qu’il «assumait cette hausse», et qu’il fallait être «pragmatique». A ses yeux, la situation a justifié les missions confiées aux cabinets ces dernières années, notamment sur fond de crise sanitaire. McKinsey avait lui-même été mandaté par l’Etat pour l’accompagner dans la campagne vaccinale contre la Covid-19.


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