Chômage partiel, prêts garantis aux entreprises, chèques exceptionnels… l’Etat a dépensé sans compter (et souvent plus généreusement que ses voisins) afin de protéger ménages et entreprises du choc de la pandémie puis des conséquences de la guerre en Ukraine, dont une inflation galopante.
Ce “quoi qu’il en coûte” a fait grimper la dette de plusieurs centaines de milliards d’euros à 113,7% du produit intérieur brut (PIB) au troisième trimestre 2022, soit 2.956,8 milliards d’euros, contre moins de 100% à fin 2019, avec dans l’intervalle des pics jusqu’à 118%.
“La dette publique en France n’a cessé d’augmenter depuis les années 1980”, souligne Lisa Thomas-Darbois, responsable du pôle économie et action de l’Etat à l’Institut Montaigne.
Dépassera-t-elle le seuil inédit des 3.000 milliards fin 2022? L’Institut national de la statistique (Insee) lèvera le voile mardi, mais record ou pas, cette envolée pèse déjà sur les finances publiques en alourdissant considérablement la charge de la dette.
“Le coût annuel des intérêts de l’emprunt est le deuxième poste budgétaire de l’Etat” derrière l’Education nationale, alerte Lisa Thomas-Darbois.
L’addition est d’autant plus salée que les taux d’intérêt auxquels l’Etat emprunte sur les marchés sont fortement remontés avec l’inflation. Et pour ne rien arranger, un dixième de la dette française est indexé sur l’inflation, ce qui alourdit d’autant le coût.
La charge des emprunts publics s’est accrue de 13 milliards d’euros en un an, à plus de 51 milliards en 2022, alors que les taux des obligations françaises à 10 ans ont brutalement rebondi autour de 3% après des années de taux très bas voire négatifs.
Marges de manœuvre limitées
A ce stade, les investisseurs ne se montrent pas inquiets. La dette française est considérée comme un actif sûr et la différence (“spread”) avec les taux d’intérêt de l’Allemagne, qui fait référence dans l’UE, ne s’est pas significativement élargie.
Mais mieux vaut prévenir que guérir, estiment les économistes, qui soulignent que c’est l’évolution du ratio d’endettement qui sera scruté.
“On ne sait pas s’il y a un niveau de dette maximum, mais on n’a pas envie d’approcher une zone où les marchés commenceraient à se poser cette question, parce qu’à partir du moment où on commence à se poser la question, la situation devient très critique instantanément”, explique Martial Dupaigne, chercheur à la Toulouse School of Economics et professeur d’économie à l’université Montpellier 3.
Or, le gouvernement est pointé du doigt pour sa lenteur à redresser les finances publiques: la Cour des comptes estime que le déficit se résorbe trop tardivement et s’alarme du fait que la dette reste peu ou prou à son niveau actuel en 2027 (110,9% selon les projections gouvernementales), voire qu’elle risque de se creuser.
“Si vous êtes sur le fil du rasoir, toute politique qui serait aventureuse sera sanctionnée immédiatement” par les marchés, comme récemment au Royaume-Uni, souligne Alain Trannoy, directeur d’études à l’EHESS.
Faut-il augmenter les recettes de l’Etat ou baisser ses dépenses? Les marges de manœuvre sont limitées, le gouvernement actuel a pour stratégie une baisse des impôts qu’il serait politiquement délicat d’abandonner et fait face à des besoins d’investissements massifs (transition énergétique, défense, santé) qui rendent difficile la maîtrise stricte des dépenses.
Il souhaite “plusieurs milliards” d’euros d’économies, mais mise principalement sur une croissance plus rapide que celle des dépenses, ce qui ferait mécaniquement diminuer le ratio d’endettement. Cette stratégie peut toutefois voler en éclat en cas de choc imprévu.
La pression s’accentue aussi au niveau européen. Après sa suspension durant le Covid, le Pacte de stabilité qui limite le déficit budgétaire à 3% du PIB et la dette publique à 60% sera prochainement réactivé. D’autant que d’autres pays de la zone euro comme l’Italie ou l’Espagne affichent un calendrier plus ambitieux pour redresser leurs comptes.
“Nous commençons vraiment à faire partie des mauvais élèves au sein de l’Union européenne”, prévient Lisa Thomas-Darbois.
C’est pourquoi l’Etat s’attèle à “rassurer les marchés” en donnant des gages de “sérieux” budgétaire, estime Alain Trannoy.
En témoigne sa détermination à faire passer sa très contestée réforme des retraites. Mais son passage aux forceps pourrait compliquer l’adoption de futures réformes, met en garde l’agence de notation financière Moody’s.