L’exécutif veut répondre au malaise des « classes moyennes » avec un « plan Marshall » qui leur sera consacré. Mais comment parler à une nébuleuse dont on ne connaît pas les contours ? Il n’y a en effet pas de définition unique des classes moyennes. D’où la première décision de Bercy de mettre en place un groupe de travail pour tenter de mieux cerner ceux que le ministre délégué des Comptes publics, Gabriel Attal, décrit à grands traits comme « des Français qui ne comptent que sur leur travail pour vivre, pas sur les aides ni sur un gros patrimoine ».
A défaut de définition, les économistes raisonnent couramment en termes de ressources et de niveaux de vie. Ils estiment que les classes moyennes regroupent « ceux qui restent quand on n’est ni très aisé ni dans une situation de pauvreté », soit les trois quarts de la population française. « C’est une population hétérogène, qui recouvre des situations très différentes. D’où la difficulté de bâtir un plan qui concerne tout le monde », observe l’économiste Philippe Crevel.
Selon le sociologue Julien Damon , cette population présente toutefois deux caractéristiques. « Elle paie l’impôt mais n’est éligible ni à la défiscalisation ni aux aides sociales. »
Annonce surprenante
A ce stade, c’est d’ailleurs sur le terrain fiscal que l’exécutif promet d’agir. Dans sa feuille de route présentée fin avril , la Première ministre Elisabeth Borne a inscrit des nouvelles baisses d’impôt pour les classes moyennes « d’ici à la fin du quinquennat ». « Je ne vois pas comment elle va faire. Dans la situation actuelle des finances publiques du pays, il ne faut pas diminuer les impôts. On a intérêt à faire des mesures transitoires », juge François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes qui anime le site Fipeco.
« C’est une annonce assez surprenante au moment où le gouvernement annonce une trajectoire budgétaire ambitieuse et où Fitch dégrade la note de la France », renchérit Mathieu Plane de l’OFCE. « Si on veut que la mesure ait un effet significatif, cela coûtera cher car il faudra consentir à un geste suffisamment important et beaucoup de ménages seront concernés. Seul un ciblage permettrait de limiter la dépense », ajoute l’économiste.
Le levier de la prime d’activité
A écouter Gabriel Attal, l’exécutif paraît vouloir concentrer son aide sur les classes moyennes qui travaillent. Si tel est le cas, une piste pourrait être d’élargir la prime d’activité ou de revaloriser son montant. « Elle remplit bien les critères », souligne François Ecalle.
Pour l’exécutif, l’un des enjeux est aussi d’améliorer le pouvoir d’achat de ces classes moyennes touchées de plein fouet par l’inflation élevée . Le ministre des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé la sortie progressive du bouclier tarifaire sur les prix de l’électricité d’ici à 2025. Face à la valse des étiquettes dans les rayons alimentaires, le gouvernement a, en revanche, renoncé à créer un chèque alimentaire. « Il aurait fallu embrasser large pour couvrir les plus modestes et les classes moyennes », note Mathieu Plane.
Crise du logement
Pour certains experts, le sujet à traiter en priorité est le logement. « L’immobilier arrive en tête des aspirations des classes moyennes, rappelle Philippe Crevel. Or cela fait des années qu’il n’y a aucune réponse à la crise du logement qui ronge la société. Et aujourd’hui, la remontée des taux d’intérêt rend encore plus difficile l’accès à la propriété. »
« C’est un poste qui pèse lourd dans le budget des classes moyennes », abonde Philippe Moati, professeur d’économie et cofondateur de l’Observatoire de la société et de la consommation (Obsoco). « Il faut redonner l’espoir de l’accès à la propriété et pour ceux qui sont locataires, limiter la hausse des loyers. » Le 9 mai, le gouvernement devrait dévoiler des propositions issues du Conseil national de la refondation pour répondre à la crise du logement. « C’est un poste sur lequel la France taxe, réglemente et redistribue déjà beaucoup », met en garde François Ecalle.
Face au sentiment de déclassement ressenti par les classes moyennes, l’économiste Lucas Chancel souligne la nécessité d’améliorer les services publics en commençant par la santé, l’éducation et les transports publics bas carbone, ce qui, selon lui, passe par une hausse de la fiscalité des plus aisés afin de les financer.