Petit séisme dans les couloirs feutrés du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et des représentations diplomatiques françaises à l’étranger. Pour la deuxième fois de son histoire – et la première depuis 2003 -, une partie des agents du ministère se mettent en grève ce jeudi. L’objet de leur colère : un décret d’application discrètement publié pendant le long week-end de Pâques, entre les deux tours de la présidentielle.
Le texte prévoit la « mise en extinction » (c’est-à-dire la fin des recrutements) de deux corps de diplomates parmi les plus prestigieux : les conseillers des affaires étrangères et les ministres plénipotentiaires. Les 800 agents qui y appartiennent – sur les 13.500 du MEAE – devront choisir l’an prochain s’ils restent dans ces corps voués à disparaître ou s’ils acceptent d’intégrer le nouveau corps unique d’« administrateurs de l’Etat ».
La création de ce nouveau corps avait été annoncée il y a plus d’un an par Emmanuel Macron dans le cadre de la vaste réforme de la fonction publique. Les élèves sortant de l’Institut du service public – ex-ENA – ne seront plus affectés à un grand corps rattaché à une administration dans laquelle ils feront carrière mais intégreront un corps unique encourageant la mobilité entre les administrations.
Reconnaissance des savoir-faire
Un non-sens pour de nombreux diplomates. Un préfet ne peut pas s’improviser diplomate, font-ils valoir. « Nous faisons face à un risque de disparition de notre diplomatie professionnelle », ont écrit 500 d’entre eux dans une tribune publiée dans « Le Monde » . Leur collectif et six syndicats ont donc appelé à la grève avec, chose rare, le soutien public de diplomates de haut rang en poste, sur les réseaux sociaux – sous le hashtag #diplo2metier.
« Nous avons besoin que les autorités politiques que nous représentons au quotidien reconnaissent que nous avons un métier et qu’elles nous aident à préserver les savoir-faire techniques, culturels et géographiques qui existent dans ce ministère et que nous avons peur de perdre ! » s’emporte une ambassadrice, décidée à faire grève ce jeudi.
Quant à ceux qui bâtissent leur carrière en acceptant de premières missions dans des pays difficiles, ils craignent de se voir ravir les postes les plus convoités par des « parachutés » d’autres administrations ou du privé. « La porte est désormais ouverte aux nominations à l’américaine », met en garde l’ancien ambassadeur aux Etats-Unis Gérard Araud sur Twitter .
« Fatigue » du personnel
Au ministère, on démine. « Ce n’est pas une réforme sèche, on a obtenu beaucoup de garanties », explique une source proche du dossier. La principale d’entre elles est le maintien du concours d’Orient, organisé par le Quai, qui permet de recruter des locuteurs de langues rares à des postes d’encadrement supérieur. Le choix des haut gradés se fera, de plus, toujours selon le même processus de nomination. « On joue à se faire peur », affirme la même source, même si elle reconnaît qu’il est difficile de rassurer les agents alors que les détails sur la progression dans le nouveau corps d’administrateurs n’ont pas été publiés.
Surtout, on voit dans le mouvement le symptôme d’une grande « fatigue » après deux années de Covid qui ont isolé le personnel en poste, et de nombreuses crises internationales à gérer, alors que les moyens du ministère ont, eux, été largement diminués. Quelque 3.000 postes ont été perdus depuis 2017. L’année 2021 a enfin marqué la fin de l’hémorragie.
« Nous partageons le sentiment de délitement », écrit la CFDT, le syndicat majoritaire au sein du ministère. Celui-ci refuse toutefois d’appeler à la grève, considérant que le mouvement reflète surtout les inquiétudes des catégories « A + », les postes les plus élevés du ministère, et « ne fait pas assez écho au sentiment généralisé d’abandon des agents ».
Jeudi, à la mi-journée, l’intersyndicale se félicitait « de la très vaste mobilisation des agents du ministère, à Paris, en Île-de-France, à Nantes et dans la grande majorité des postes diplomatiques et consulaires à travers le monde ».