Les affirmations réductrices d’Emmanuel Macron sur le temps de travail des Français

« Nous sommes un pays qui travaille moins que les autres », a affirmé le président lors de la présentation du plan d’investissement France 2030. Une assertion très discutable.


Emmanuel Macron, président de la république, présente le plan "France 2030" au Palais de l’Elysée, mardi 12 octobre 2021 - 2021©Jean-Claude Coutausse pour Le Monde

Les années passent, et Emmanuel Macron réitère ses critiques sur la productivité des Français. En 2019, l’ancien ministre de l’économie affirmait déjà de manière fort sélective que « la France travaille en moyenne beaucoup moins que ses voisins ». Il se basait alors sur un classement d’un cabinet de recherches économiques proche du patronat, Coe-Rexecode, plutôt que sur les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui dessinaient déjà un tableau contraire.

Deux ans plus tard, à l’occasion de la présentation, mardi 12 octobre, du plan d’investissement France 2030, le président de la République a réitéré et précisé ses propos :

« Quand on se compare, nous sommes un pays qui travaille moins que les autres en quantité, cela reste vrai. Et donc, nous avons une quantité de travail allouée qui n’est pas au bon niveau, à la fois dans le cycle de vie et en horaires cumulés. (…) Il nous faut avoir un pays qui produise davantage. »

Le lendemain, à la sortie du conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a détaillé cette affirmation : « Le président de la République a rappelé quelque chose qui est factuel : les Français travaillent moins, en moyenne, que les autres [habitants des] pays de l’OCDE, c’est ce que disent les statistiques de l’OCDE [qui regroupe 38 pays, essentiellement occidentaux et industrialisés]. En 2020, les Français avec un emploi travaillaient près de trois cents heures de moins par an que la moyenne de l’OCDE. Si on part sur des journées de travail de sept heures, c’est plus d’un mois travaillé en moins. Et si on regarde le temps de travail hebdomadaire des personnes avec un emploi, les Français travaillent deux heures trente en moins par semaine que la moyenne des pays de l’OCDE. » Cette explication tire les indicateurs disponibles dans le sens qui arrange le gouvernement.

POURQUOI C’EST CONTESTABLE

  • Des chiffres hebdomadaires erronés

Tout d’abord, il peut paraître étonnant de prendre comme référence l’année 2020, alors que la pandémie de Covid-19 a eu un impact certain sur la production et le marché du travail de la plupart des pays.

Par ailleurs, Gabriel Attal affirme que les Français « travaillent deux heures trente en moins par semaine que la moyenne des pays de l’OCDE ». C’est pourtant faux. Avec 36,5 heures de travail hebdomadaire moyen en 2020 selon l’OCDE, la France ne se situe en dessous de la moyenne des 38 pays adhérents à l’organisation internationale (37 heures) que pour trente minutes, non deux heures et trente minutes. La France est certes loin derrière la Colombie (47,6 heures) mais devant de nombreux pays riches, comme la Suisse (34,6 heures) ou les Pays-Bas (29,5 heures).

  • Un déficit annuel réel mais biaisé

Emmanuel Macron et Gabriel Attal disent vrai au niveau annuel, les Français travaillent 1 402 heures par an en moyenne, contre 1 687 heures pour les pays de l’OCDE, et même 2 124 heures pour les Mexicains, selon des chiffres de 2020.

Mais cet indicateur comporte de nombreux biais. Pour commencer, il mélange les emplois à temps plein et les emplois à temps partiel. Ces derniers font mécaniquement baisser la moyenne, particulièrement en Allemagne, où ils sont répandus, notamment chez les femmes : le pays se retrouve dernier de ce classement. Impossible, donc, d’effectuer, comme le suggère Gabriel Attal, des calculs sur la base de « journées de travail de sept heures » alors que des mi-temps sont pris en compte.

França, 7º menor volume horário trabalhado no ano pela OCDE

Número médio de horas anuais trabalhadas por país, incluindo trabalhadores a tempo inteiro, a tempo parcial e sazonais.

La prise en compte des saisonniers, très nombreux dans les pays touristiques comme la France, contribue de la même manière à faire chuter la moyenne du temps de travail annuel. Enfin, ces comparaisons tiennent compte du nombre de jours non travaillés (congés payés et jours fériés), qui diffèrent d’un pays à l’autre. Avec 35 jours « off », les travailleurs en France sont parmi ceux qui en ont le plus, ce qui tire la moyenne horaire annuelle vers le bas.

  • L’une des meilleures productivités horaires d’Europe

Emmanuel Macron choisit-il de voir le verre à moitié vide ? D’autres indicateurs, comme la productivité de la main-d’œuvre par personne occupée et heure travaillée, qui élimine les différences entre plein-temps et temps partiel, sont plutôt à l’avantage de la France. Selon les données de l’Union européenne, le pays se situe au septième rang pour l’année 2019, et même au cinquième pour 2020. Si l’Irlande est loin devant, la France fait mieux que l’Allemagne dans ce domaine.

La France, cinquième pays d’Europe en matière de productivité horaire ajustée

Cette productivité horaire est d’ailleurs reconnue à l’étranger. Comme le pointait l’hebdomadaire libéral britannique The Economist en 2015 : « Les Français pourraient être en congé le vendredi, ils produiraient encore davantage que les Britanniques en une semaine. »

Attention toutefois, cela ne signifie pas que les Français sont, à titre individuel, plus « travailleurs » qu’ailleurs, mais que la productivité en général y est plus élevée. Celle-ci dépend de nombreux facteurs, pointe l’OCDE : les capacités personnelles des individus, mais aussi les stratégies de production, l’organisation du travail, l’évolution technique, l’efficience ou encore les économies d’échelle.

  • Derrière la moyenne travaillée, la question de l’employabilité

La question est ainsi plus complexe que ne le laisse transparaître une simple moyenne annuelle. D’ailleurs, pour Antoine Goujard, économiste à l’OCDE, auteur d’un billet sur la question du temps de travail en France, le principal problème n’est pas tant le volume horaire hebdomadaire ou annuel, mais le faible nombre d’années travaillées, ce qu’Emmanuel Macron évoque en parlant de la quantité de travail « dans le cycle de vie ». Seulement, ce nombre d’années dépend moins du temps de travail légal que de la fluidité du marché du travail et de sa capacité à intégrer les juniors et les seniors.

Or, relève M. Goujard, le taux d’emploi en sortie d’études est bien plus faible que la moyenne des pays européens pour les travailleurs les moins qualifiés, et décroît rapidement à partir de 54 ans, avec un âge effectif de sortie du marché du travail qui est le second plus bas de tous les pays de l’OCDE pour les hommes. Ni un allongement du temps de travailhebdomadaire ni le report de l’âge de la retraite ne résoudraient la question de leur faible employabilité.


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