Y penser toujours, n’en parler jamais. Ces derniers mois, le patronat se réfugiait volontiers dans la célèbre devise de Léon Gambetta quand il s’agissait d’évoquer la succession de Geoffroy Roux de Bézieux à la tête du Medef. Cette période arrive à son terme : la campagne pour l’élection à la tête de l’organisation patronale s’apprête enfin à débuter, libérant des prétendants qui trépignent en coulisse depuis plusieurs semaines. « Ça commence à s’agiter, on est passé d’une guerre de tranchées à une guerre de mouvements », s’amuse un dirigeant de fédération patronale.
Officiellement, la campagne débute le 6 mars, avec l’ouverture des dépôts de candidatures. D’ici là, interdiction de sortir du bois sous peine d’être exclu de la course. « Dans le contexte politique actuel, il y avait la volonté de Geoffroy Roux de Bézieux de pouvoir agir jusqu’au bout, sans une campagne électorale tendue et à rallonges comme en 2018 », souligne un membre du comité exécutif. Cela a marché, parfois à l’excès. « L’élection de 2018 était électrique, celle-ci a eu beaucoup plus de mal à intéresser les adhérents », constate un responsable influent du patronat.
Des grands électeurs à convaincre
Sans attendre le 6 mars, les candidats putatifs ont accéléré les préparatifs ces dernières semaines. « Ils multiplient tous les déplacements dans les Medef territoriaux et les rendez-vous dans les fédérations pour juger des soutiens », souligne un membre du comité exécutif. Qui résume les enjeux : « C’est l’équivalent d’élections sénatoriales où il faut aller voir patiemment les grands électeurs et surtout les faiseurs de rois dans les fédérations. » Il est donc urgent de commencer à séduire parmi les quelque 1.123 électeurs qui feront la décision le 6 juillet.
Le casting, s’il n’est pas encore complet, commence à se préciser. Personne ne doute que Patrick Martin sera sur la ligne de départ. Déjà candidat en 2018, il s’était rallié à Geoffroy Roux de Bézieux pour former un ticket en devenant ensuite son directeur délégué. « Il a fait le job pendant cinq ans, et il l’a plutôt bien fait. C’est aussi un dirigeant d’ETI, qui travaille aussi bien avec l’industrie que les services », souligne un représentant de fédération. « C’est un vrai chef d’entreprise pragmatique. Mais à chaque fois qu’un numéro deux veut devenir numéro un, il y a toujours des questions sur sa capacité à endosser le costume », souligne le membre influent du patronat.
L’inconnue Saubot
Un autre membre du casting de 2018 pourrait remonter en selle. « Vous savez ce que va faire Alexandre ? » La question revient immanquablement quand vous abordez un représentant patronal ces dernières semaines. Alexandre Saubot laisse planer le doute, cinq ans après avoir été défait (par 284 voix contre 224). « Je n’ai pas de commentaires à faire, je consulte, je réfléchis », explique l’actuel président de France Industrie.
Celui-ci n’a visiblement pas envie de revivre l’expérience de 2018 et voudrait rassembler largement derrière lui avant même de se déclarer. « Il voudrait qu’on vienne le chercher, qu’il soit un recours naturel. Ça ne donne pas le sentiment qu’il a vraiment envie d’y aller », juge un dirigeant de fédération qui le juge « brillant mais clivant ». « Ses consultations l’ont ragaillardi, il est plus déterminé qu’il ne l’était il y a quelques semaines », veut croire un autre.
En face de ces figures connues, un troisième impétrant pourrait incarner le renouvellement. Depuis plusieurs mois, Laurent Giovachini, directeur général adjoint de Sopra Steria mais aussi président de l’influente fédération Syntec (ingénierie, numérique, conseil, etc.), se prépare activement. Il travaille depuis plusieurs années sur le sujet phare du moment, la souveraineté économique, à la tête de la commission spécialisée sur le sujet au sein du Medef.
« Il a une vraie colonne vertébrale intellectuelle », souligne un poids lourd du patronat. Qui note toutefois le « problème posé par son profil ». Le Polytechnicien, qui n’est pas numéro un de son entreprise, a en outre commis un péché aux yeux de nombreux patrons : il a travaillé dans les cabinets du gouvernement Jospin. « Il n’est pour rien dans les 35 heures, mais il était là au mauvais moment », résume l’un.
« Pas de cristallisation »
A côté de ces trois principaux acteurs, d’autres candidatures pourraient émerger. Notamment celle de Dominique Carlac’h, déjà vice-présidente et porte-parole du Medef. Voudra-t-elle être une nouvelle fois la seule femme à se présenter, comme en 2018 ? Le nom de Pierre Brajeux est aussi régulièrement avancé.
Dans ce paysage, chacun spécule sur les chances des différents impétrants. Patrick Martin, ancien président de Medef territorial, a pour lui d’être parfaitement identifié par les structures locales de l’organisation patronale, dont le poids s’est accru avec la réforme de la gouvernance de 2019 (elles représentent 40 % des voix, contre 30 % en 2018). Pour Alexandre Saubot, l’enjeu sera – s’il se présente – de rassembler le maximum de grandes fédérations, alors que celle des métallos – la puissante UIMM, dont le président Eric Trappier n’a pas voulu se présenter – n’a pas encore pris officiellement position. Laurent Giovachini doit, pour sa part, rapidement installer sa candidature dans l’esprit des électeurs.
« Si Alexandre Saubot ne se présente pas, Patrick Martin est le grand favori. Dans le cas contraire, ce sera plus ouvert », juge un président de fédération. « Même si Patrick Martin semblait partir avec une longueur d’avance, il n’y a pas eu cristallisation. Un changement est encore possible », assure un autre.