La France renoue avec les restructurations d’entreprise. Après trois années de « quoi qu’il en coûte », les défaillances ont augmenté pour le sixième trimestre consécutif entre avril et juin. Selon les statistiques de la Banque de France publiées ce jeudi, 48.673 procédures collectives ont été ouvertes en cumul sur un an à fin juin, contre 33.570 un an plus tôt sur la même période, un niveau alors anormalement bas lié à l’intervention de l’Etat pendant la pandémie de Covid.
Même si les chiffres restent inférieurs de 4,8 % à ceux observés en 2019 (51.145) et « au niveau moyen enregistré sur la période 2010-2019 », la parenthèse est bel et bien refermée et les économistes s’attendent à ce que les défaillances dépassent leur niveau d’avant la crise sanitaire sur l’ensemble de l’année 2023.
« De nombreux redressements »
« C’est un rattrapage plutôt sain, qui n’a rien de surprenant », observe Paul Chollet, chef économiste de Crédit Mutuel Arkea. Les aides publiques ont été arrêtées et les assignations pour recouvrement par l’Urssaf ont repris, avec même « des contrôles a posteriori sur les exonérations accordées. Ce qui aboutit à de nombreux redressements », note Denis Le Bossé, président de Cabinet ARC, spécialisé dans le recouvrement de créances.
Par ailleurs, la hausse des coûts des matières premières et des salaires conjuguée à la remontée des taux d’intérêt mettent les marges sous pression. Ce, alors que depuis l’automne dernier, l’activité économique tourne au ralenti . « La croissance actuelle est insuffisante pour stabiliser le nombre de défaillances », résume Maxime Lemerle chez Allianz Trade.
Entreprises « zombies »
Dans ce contexte, les défaillances touchent particulièrement deux catégories de sociétés. Les entreprises « zombies » qui ont bénéficié d’un sursis grâce aux aides publiques déployées pendant la pandémie. Et aussi celles qui n’ont pas les moyens de rembourser leur prêt garanti par l’Etat (PGE). « L’enjeu aujourd’hui, c’est le financement des besoins en trésorerie », explique Denis Le Bossé, qui constate « une recrudescence de dossiers de contentieux et d’impayés depuis le mois de mars ».
Les secteurs les plus touchés ? « Ceux qui opèrent dans les activités les plus concurrentielles et qui ont du mal à répercuter les hausses de coûts sur leurs prix », résume Paul Chollet. En particulier, le bâtiment (9.827 défaillances sur un an), qui a poussé un cri d’alarme en début de semaine, mais dont le niveau de sinistralité actuel reste loin de son pic historique et de son niveau pré-pandémie (-11,4 % par rapport à 2019).
PME et ETI désormais touchées
La situation se dégrade également dans l’hôtellerie-restauration (6.789) ou le commerce de détail (10.747) frappé par la faiblesse de la demande. Les défaillances s’accélèrent aussi dans l’industrie, où elles dépassent même de 4,5 % leur niveau de 2019 avec 3.590 défauts.
« A fin mai 2023, le chiffre d’affaires cumulé des sociétés qui ont fait l’objet d’une procédure collective sur un an atteignait 21 milliards d’euros. Soit une hausse de 50 % par rapport à mai 2022. Ce qui montre que la taille des entreprises touchées par les défaillances augmente », relève Maxime Lemerle. Alors que les TPE avaient été les premières à tomber, la vague n’épargne plus les moyennes entreprises (+85 % en un an) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI).
2024, « année noire »
Fin juin, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, se voulait toutefois rassurant sur la situation : « Je crois à une vigilance au cas par cas, pas à une alerte générale, ni à un ‘mur de faillites’ en France », assurait-il .
Les économistes divergent sur l’ampleur des sinistres à venir. Les experts de Coface tablent sur 53.000 défauts cette année en France – comme en 2018 -, quand d’autres sont plus pessimistes et anticipent une accélération au cours des prochains mois, sans entrevoir un retour aux 63.000 défauts enregistrés dans les années 2010.
C’est le cas de l’expert d’Allianz Trade, qui en attend 59.000 en 2023, ou de celui du Crédit Mutuel Arkea, qui avance une fourchette de 58.000 à 60.000. Ce dernier estime, en revanche, que « 2024 sera une année noire, avec un nouveau record historique de 65.000 défaillances. Ce qui entraînerait une remontée de 0,6 point du taux de chômage ». « Au cours des six prochaines années, 50.000 défauts seront liés à l’impossibilité de rembourser les PGE, mais le choc sera concentré sur les premières années », explique-t-il.
Dans son scénario, l’économie hexagonale devrait aussi enregistrer une contraction de son activité à partir du second semestre 2023, et ce pendant au moins trois trimestres.