Les sénateurs ont largement voté un amendement de la droite supprimant l’aide médicale d’Etat (AME). Le dispositif, qui permet aux sans-papiers de bénéficier d’une prise en charge de leurs soins médicaux et hospitaliers, pourrait être remplacé par une aide médicale d’urgence (AMU).
L’Assemblée nationale, qui se penchera à son tour sur le texte à partir du 11 décembre, pourrait annuler la mesure. Qui bénéficie de l’AME ? Sous quelles conditions ? Quels arguments mettent en avant ses défenseurs ? Explications.
1. Qu’est-ce que l’AME ?
L’aide médicale d’Etat (AME) est un dispositif entré en vigueur le 1er janvier 2000. Il permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’une prise en charge à 100 % de leurs soins médicaux et hospitaliers, dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale.
L’AME est notamment attribuée sous condition de résidence : la personne qui en fait la demande doit ainsi séjourner en France depuis plus de trois mois et ne pas avoir de titre de séjour. L’aide est aussi soumise à des conditions de ressources. Pour être éligible, une personne seule doit par exemple gagner moins de 9.719 euros par an en métropole.
Pour l’obtenir, un dossier est à remplir et à déposer physiquement dans les caisses primaires d’Assurance-maladie (CPAM). Une fois attribuée, l’AME est accordée pour un an. Son renouvellement doit être demandé chaque année.
2. Combien ça coûte ?
Pour 2024, environ 1,2 milliard d’euros ont été inscrits dans le projet de finances pour subventionner le dispositif, soit 0,47% des 252 milliards de dépenses prévues dans le budget de l’Assurance maladie. Ce chiffre est en hausse modérée par rapport à 2023. Mais si la progression ralentit, elle reste sensible par rapport à 2017 : les dépenses AME étaient alors de l’ordre de 800 millions.
Le nombre de bénéficiaires progresse aussi. Il a atteint 411.364 fin 2022, contre 380.762 un an plus tôt (soit une hausse de 8 %). Ils étaient 180.000 en 2003.
3. Que propose la droite ?
Dans le cadre de l’examen au Sénat du projet de loi immigration, la droite exigeait une réforme de l’AME. Un amendement a été déposé en ce sens. Les sénateurs ont finalement adopté la suppression de l’AME pour la transformer en « aide médicale d’urgence » (AMU).
Si elle entrait en vigueur – le texte doit encore être examiné par l’Assemblée nationale – l’aide médicale d’urgence serait recentrée sur la prise en charge « des maladies graves et des douleurs aiguës », de la prophylaxie, des soins liés à la grossesse, des vaccinations et des examens de médecine préventive. La droite justifie cette réforme, réclamée de longue date, par les risques d’« appel d’air migratoire » que représente, selon elle, l’AME.
Le coût de l’aide actuelle est aussi pointé du doigt. « Pour les personnes en situation irrégulière, il y a un panier de soins quasiment équivalent à ce qui existe au niveau des Français. La trajectoire va devenir insoutenable financièrement », estime la députée LR Véronique Louwagie, à l’origine de la proposition de loi.
4. Quelle est la position du gouvernement ?
Lors du vote au Sénat, le gouvernement ne s’est pas opposé à la suppression de l’AME. La ministre déléguée aux Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a justifié la position de l’exécutif par le fait que cette réforme « n’a rien à faire » dans le projet de loi sur l’immigration. « Mélanger les débats sur l’AME et le contrôle de l’immigration est un non-sens », a-t-elle déclaré, assurant que « le gouvernement est très attaché à l’AME », un « dispositif de santé publique ».
En réalité, la majorité est elle aussi divisée sur la question. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a ainsi déclaré, à titre personnel, être « favorable » à la suppression de l’AME et à son remplacement par l’AMU. « Ce n’est pas la position initiale du gouvernement », mais « c’est un bon compromis, qui allie fermeté et humanité », a-t-il expliqué dans « Le Parisien ».
Dans la foulée, la Première ministre avait confié une mission à Patrick Stefanini et Claude Evin pour voir si des adaptations étaient nécessaires. Leur rapport intermédiaire estime que l’aide médicale d’Etat n’est pas un « facteur d’attractivité » pour les étrangers. Beaucoup de sans-papiers n’en font d’ailleurs pas la demande : le taux de recours est de 50 %. Enfin, « quelqu’un qui est à l’AME ne consomme pas plus de soins que quelqu’un qui n’y est pas », a insisté le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran.
Pour autant, le gouvernement ne ferme pas la porte à des ajustements. Patrick Stefanini et Claude Evin évoquent ainsi une possible limitation de l’AME dans le temps, pour ne pas inciter à rester dans la clandestinité.
5. Quels arguments mettent en avant les défenseurs de l’AME ?
La réforme a suscité la ferme opposition de la gauche sénatoriale mais aussi des professionnels de santé. Ses défenseurs reconnaissent dans ce dispositif « un outil essentiel à la santé des individus et à la santé publique ». L’AME permet notamment d’éviter la propagation des épidémies, alors que les personnes précaires sont souvent sujettes aux maladies infectieuses. Elle a aussi un intérêt économique : la prise en charge rapide d’une pathologie évite ainsi des soins plus lourds et plus chers.
Ce mercredi, la fédération des hôpitaux publics a dénoncé une « hérésie humanitaire, sanitaire et financière », tout en pointant le risque de « conséquences dramatiques » sur le système de santé, déjà en souffrance. Cette réforme « revient à affaiblir notre système de santé, à rebours du virage préventif souhaité par tous les acteurs », juge-t-elle, déplorant que « les leçons de la pandémie de Covid-19 semblent oubliées ».
« Sur le plan financier, la suppression de l’AME fragiliserait de façon extrêmement forte un hôpital public soumis à de fortes tensions budgétaires » en le privant « des financements associés à la prise en charge des personnes malades, qui continueraient d’être soignées », poursuit la fédération. Elle appelle l’Assemblée nationale, qui se penchera sur le texte à partir du 11 décembre, à rétablir « ce dispositif protecteur essentiel ».