Comme quoi, les entreprises françaises, peuvent se mobiliser et être très réactives dans une situation complètement inédite. De nombreux industriels tricolores ont reconverti en très peu de temps leur outil de production pour se lancer dans la fabrication de masques de protection, de gel hydroalcoolique, de matériels médicaux comme les respirateurs, ou de consommables pour le secteur de la santé (blouses, seringues, charlottes, lunettes…). Selon le directeur général de France Industrie, Vincent Moulin Wright, les cadences de production se sont fortement renforcées en peu de temps dans les usines qui en produisaient, et des usines ont modifié leurs lignes de production pour répondre aux pénuries.
“La crise Covid 19 aura démontré que le secteur industriel demeure la clé de voûte d’une économie, et au-delà, un formidable gisement de solutions technologiques et d’innovations pour parer les ravages des crises, qu’elles soient sanitaires, climatiques ou écologiques”, estime Vincent Moulin Wright
Multiplication des sites de production de gel hydroalcoolique
En quelques semaines, la production de gel hydroalcoolique est passée en France de 50.000 litres par jour avant la crise déclenchée par le Covid-19 à plus de 500.000 litres, confie à La Tribune Vincent Moulin Wright, l’organisation professionnelle représentative de l’industrie en France. “On devrait atteindre rapidement le point d’équilibre entre la demande et l’offre”, précise-t-il. Un grand écart industriel incroyable. Car en moyenne, la consommation annuelle dans la grande distribution atteint à peine 450.000 litres (pour 11 millions d’euros de chiffre d’affaires), et 4 millions dans les hôpitaux. La solidarité, mais aussi l’opportunité de rouvrir des usines de production dans un contexte extrêmement déprimé a permis de démultiplier les sites de production de gel hydroalcoolique.
Des entreprises du luxe et de cosmétiques aux entreprises de la chimie, de détergents et de produits de désinfection, en passant par les entreprises alimentaires, les fabricants de peinture ou d’alcool (Bio éthanol), ont reconverti une partie de leur outil de production pour fabriquer du gel hydroalcoolique, qui avait trop vite disparu des stocks de pharmacies et de la grande distribution dès le début de la crise. Ainsi, les groupes de luxe LVMH et L’Oréal ont été les premiers à se lancer, puis Shiseido a remis dès la fin mars en route des usines situées dans le Loiret pour produire du gel hydroalcoolique. Le groupe britannique Ineos du milliardaire Jim Ratcliffe doit de façon imminente ouvrir une unité de production de gel hydroalcoolique dans le complexe pétrochimique de Lavéra dans le sud de la France. C’est aussi le cas de la filière chimie où de nombreuses entreprises (grands groupes, ETI et PME) se sont mises en capacité de produire un total de 100.000 litres par jour, soit environ l’équivalent des besoins de 100 hôpitaux publics de couverture régionale.
Par ailleurs, les producteurs français d’alcool agricole comme Tereos se sont mobilisés pour satisfaire la demande des fabricants de gels hydro-alcooliques. La principale substance active biocide utilisée pour la fabrication de ces gels est l’alcool éthylique (ou éthanol) dont la France est le premier producteur en Europe (25% des volumes) : 1,8 milliard de litres chaque année, soit près de 5 millions de litres par jour.
Masques : triplement de la production “Made in France”
Pour les masques, la production a également très fortement augmenté grâce à la mobilisation des entreprises. Mais la France est partie de loin, de trop loin pour atteindre un point d’équilibre entre la demande et l’offre. “Au début de la crise du Covid-19, les besoins étaient dix fois supérieurs à la production française, fait observer Vincent Moulin Wright. Depuis, la France a triplé la production de masques”. La production de masques FFP1 et 2 “Made in France” s’élevait avant la crise à 3 millions par semaine. Elle était assurée par seulement quatre entreprises qui peinait face à une concurrence asiatique plus compétitive car produisant des milliards de masques.
“La production a déjà doublé, précise le directeur général de France Industrie. Elle devrait atteindre 10 millions de masques par semaine à terme via de nouvelles lignes de production mise en route. Les machines permettant la fabrication de masques sont également françaises, issues du groupe CERA Engineering près de Saint Étienne, qui accroît aussi ses cadences”.
D’anciens fabricants ont rouvert des lignes et de nouveaux industriels ont multiplié les initiatives ces dernières semaines. Le groupe Michelin va lancer la production d’une nouvelle génération de masques FFP2, à base de caoutchouc et à destination du milieu hospitalier. Le groupe espère en produire quelques millions. De même, l’équipementier automobile Faurecia, filiale de PSA.
La production de masques textiles (catégorie 2), qui sont moins protecteurs, s’est également envolée. Des centaines de PME et d’ETI dans le secteur du textile, de l’habillement et de la mode, notamment, “travaillent d’arrache-pied” et se sont lancées dans la production de masques conformément à un cahier des charges défini par quelques pionniers et validé par la direction général de l’armement (DGA). Un cahier des charges qui circule d’ailleurs de façon très solidaire entre les entreprises. Certaines d’entre elles ont même reconverti leur site de production.
Selon Vincent Moulin Wright, la production est passée de quasiment zéro à 6 millions de masques par semaine en seulement 15 jours. Elle pourrait encore monter jusqu’à 10 millions d’unités voire au-delà, estime-t-il. “Un tour de force pour cette industrie très concurrencée par l’Asie“, souligne-t-il. Sans compter que ces masques sont lavables et pourraient donc servir plusieurs fois de suite. Mais cela ne suffira pas. Car la production atteindra seulement 20% du besoin national, qui est évalué à 100 millions de masques par semaine (hors besoins futurs de la population).
D’où le recours massif à l’importation, via des commandes publiques passées à la Chine par la France pour près de deux milliards de masques. Une cinquantaine de grandes entreprises industrielles ont également passé commande (100 a 200 millions de masques) depuis 15 jours. Ces achats bénéficieront aussi à leurs fournisseurs après approvisionnement du secteur santé. Des commandes ont été par ailleurs passées par des groupements d’achats montés par les filières industrielles pour leurs PME. “La solidarité s’organise”, souligne Vincent Moulin Wright.
Respirateurs, matériels de protection : de nombreuses initiatives
Certains industriels se sont lancés dans la production d’autres équipements de protection comme des sur-blouses. Le groupe d’emballages ménagers Sphère a par exemple réorganisé une partie de sa production, avec l’objectif de livrer 10 millions de sur-blouses et manchettes aux hôpitaux. Des groupes de confection ont également proposé des blouses en coton lavables. Des groupes de la plasturgie proposent des visières plastiques très efficaces pour pallier la pénurie de lunettes. En revanche, la production de gants de protection reste très marginale en France. “On est très en retard dans ce domaine où quasiment toute la production a migré vers l’Asie”, confirme le directeur général de France Industrie
Sur le marché des respirateurs qui compte heureusement le poids lourd français Air Liquide qui a décuplé sa production, des initiatives ont également surgi. Un consortium réunissant Air Liquide, Schneider Electric, Valeo et PSA doit fabriquer d’ici mi-mai 10.000 respirateurs pour les hôpitaux. “Air Liquide fait un travail remarquable et tente de dupliquer sa production auprès d’intégrateurs industriels de l’automobile voire de l’électroménager”, note Vincent Moulin Wright. Le CNES (Centre national d’études spatiales) élabore quant à lui des prototypes, notamment des diviseurs de flux permettant de brancher jusqu’à trois patients sur un même respirateur. Beaucoup d’entreprises de la mécanique ou de la plasturgie proposent aussi d’utiliser leurs capacités d’impression 3D pour fabriquer des équipements (valves pour respirateurs…). C’est le cas par exemple de nombreuses PME et ETI françaises ou d’Airbus en Espagne