“Notre priorité est d’encourager l’essor des sociétés à mission en France et en Europe”

LE MONDE D'APRES. Pour la députée LREM Olivia Grégoire et le directeur général de Maif Pascal Demurger les entreprises engagées ont un rôle clé dans la gestion et la sortie de crise. Ils appellent dans cette interview croisée à un développement massif du statut d’entreprise à mission, instauré par la loi Pacte, par le biais d'incitations financières et d'une transposition à l'échelle européenne. Ils expliquent pourquoi la notation de la performance extra financière d'une entreprise n'est pas un sujet technique, mais de souveraineté économique.


Les initiatives de solidarité engagées par les entreprises françaises se multiplient. Ce mouvement va-t-il perdurer ou est-ce de simples actions de communication ?

Olivia Grégoire – C’est un mouvement qui va prendre de l’ampleur. On appelle beaucoup les entreprises à la responsabilité et à adopter des pratiques éthiques mais force est de constater que de nombreuses sociétés n’ont pas attendu la crise, ni l’appel des pouvoirs publics pour s’engager. Les exemples sont nombreux. On voit que des grands groupes comme des petites entreprises font des dons d’argent ou de matériel, mettent à disposition leurs cuisines ou leurs chambres pour héberger du personnel soignant ou des sans-abris ou  adaptent leur chaîne de production pour fabriquer des masques, du gel hydroalcoolique et des respirateurs. Les entreprises ont démontré beaucoup d’agilité. Ce sont des nouvelles pratiques qui vont perdurer après la crise.

Pascal Demurger – La crise a cela de particulier qu’elle exacerbe les comportements individuels et notamment les comportements des entreprises qui essaient d’agir pour le bien commun. Ce sont des entreprises qui agissent en faveur de la crise et non pour des raisons de communication. Nous avons été nombreux à mettre en place un certain nombre de dispositifs dans la plus grande discrétion. Du côté du groupe Maif, plutôt que de ralentir les délais de paiement, nous les avons considérablement accélérés à l’égard de nos prestataires et fournisseurs. Nous n’avons pas communiqué là-dessus car cela nous paraissait évident. Ensuite, compte tenu de la baisse des accidents de voiture, nous avons aussi pris la décision de reverser 100 millions d’euros à l’ensemble de nos sociétaires titulaires d’un contrat d’assurance automobile et nous avons mis en place un site internet permettant aux sociétaires concernés de reverser cette somme à trois organisations totalement mobilisées face à cette crise. Nous n’avons pas communiqué sur cette initiative mais simplement prévenu nos sociétaires par e-mails. Il y a eu ensuite de fortes retombées médiatiques.

Quel rôle peut jouer dans cette crise l’entreprise à mission*, dont le statut a été instauré dans le cadre de la loi Pacte ?

O.G – L’entreprise à mission peut être le véhicule qui porte cette nouvelle entreprise politique. Politique car elle se donne un mandat et un moyen de contrôle. Le statut d’entreprise à mission est la prolongation naturelle de la raison d’être car il comprend un volet de contrôle avec la vérification de l’exécution des engagements prévue par un comité de suivi ad hoc et un organisme tiers indépendant. Notre priorité est d’encourager dans les mois à venir l’essor des sociétés à mission en France et en Europe.

P.D – Aujourd’hui se développe une nouvelle conception de l’entreprise radicalement différente de la conception traditionnelle. La société civile a une attente de plus en plus forte vis-à-vis de l’entreprise : non seulement qu’elle réponde à un objectif social, qu’elle soit pérenne et rentable, mais aussi qu’elle ait une contribution au bien commun en participant à la résolution de problématiques environnementales et sociétales. L’entreprise a également un rôle politique au sens étymologique du terme [polis, la cité en grec, Ndlr] : l’entreprise est concernée par la vie de la cité. Elle n’est pas en dehors de la cité.

Comment alors favoriser l’essor des sociétés à mission ?

P.D – Ma conviction profonde c’est que l’entreprise ne changera de comportement que si elle trouve un intérêt à le faire. Il faut être capable de démontrer que l’on peut bâtir des modèles économiques où la performance de l’entreprise est nourrie par son engagement sociétal et environnemental. Il me paraît évident que si une entreprise apporte plus d’attention et de bienveillance à l’égard de ses collaborateurs, elle obtiendra en retour une adhésion et un engagement beaucoup plus importants. Si le management mis en place permet aux collaborateurs de s’exprimer de manière plus libre et complète, le collaborateur sera plus innovant car il sait qu’il sera écouté. De même à l’égard des clients. Un conseil désintéressé et formulé dans le seul intérêt du client final permet d’augmenter la fidélité de ce dernier. L’intérêt sur le long terme de l’entreprise se confond donc avec l’intérêt du client, alors qu’à court terme ils auraient pu être opposés. A la Maif, aucun de nos vendeurs, y compris les gestionnaires de patrimoine, ne sont intéressés sur les ventes qu’ils réalisent.

Ensuite, la sensibilisation et la connaissance que doit avoir le grand public sur ces sujets là sont clés. Car, in fine, le juge arbitre c’est le consommateur final. C’est lui qui choisira de consommer auprès d’une entreprise vertueuse ou non. Il y a donc un effort de sensibilisation du grand public et naturellement l’Etat a un rôle à jouer dans ce domaine. Une meilleure connaissance du grand public sur le comportement d’une entreprise, c’est-à-dire une plus grande transparence, est aussi nécessaire. Un dispositif doit permettre, au premier coup d’oeil, de savoir auprès de quel type d’entreprise un consommateur s’adresse pour faire de sa consommation un acte citoyen. Cela peut passer par un système de notation ou de labellisation, à l’image du label bio dans l’alimentation aujourd’hui.

O.G –  Aujourd’hui, l’enjeu est de faire connaître ce statut aux entreprises, de leur faire comprendre que cela relève d’une opportunité et non d’une contrainte. Nous devons donc, au niveau européen, imaginer des bénéfices pour les entreprises qui s’engagent sur cette voie. Aujourd’hui, rien ne vient récompenser de façon sonnante et trébuchante les efforts des sociétés à mission et des entreprises politiques, parmi lesquelles figurent le groupe Maif. Je suis donc beaucoup plus favorable à la notation qu’à la labellisation. Le label résout une partie du problème mais il ne va pas assez loin car il ne permet pas de prendre en compte les différents niveaux de performances de l’entreprise vertueuse.

Quelle “carotte” pourrait être mise en place ?

O.G –   Plusieurs pistes sont possibles. Nous pourrions envisager, par exemple, un accès facilité aux marchés et notamment aux marchés publics. Une autre option consisterait à intégrer la performance extra financière, c’est-à-dire celle liée aux engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans le bilan comptable des entreprises. Aujourd’hui, une entreprise qui mène une politique de formation ambitieuse ou une politique paritaire très forte en mettant l’accent sur la conciliation de la vie privée et professionnelle, ne voit ses efforts que mentionnés dans le rapport annuel comptable. Pour aller plus loin, il faudrait faire en sorte que ces actions puissent être intégrées de manière concrète et directe dans le bilan de l’entreprise, sous la forme de points ou d’une colorimétrie par exemple. Si je reprends mon exemple, en face des cases “formation” et “politique paritaire”,  il faudrait qu’il y ait des points ou une valorisation numéraire. Aujourd’hui, un bilan d’une entreprise se limite à ses performances financières. Nous souhaitons qu’à côté du bilan financier, figure une performance extra financière de l’entreprise avec une notation ESG.

Quel est l’intérêt pour une entreprise d’avoir une bonne note ESG ?

O.G –   Nous pourrions imaginer qu’une entreprise ayant une bonne note extra financière puisse bénéficier d’un taux d’intérêt adouci lorsqu’elle emprunte auprès de sa banque ou d’un aménagement de ses remboursements. Elle pourrait aussi être moins imposée.

P.D – Au-delà des effets positifs en termes d’image, d’attractivité auprès des consommateurs et de possibles gains de parts de marché, une entreprise bien notée sur ces aspects est une entreprise plus durable et plus résiliente.  Un banquier normalement constitué devrait donc accorder des taux d’intérêt moins élevés à cette entreprise car c’est dans son propre intérêt économique. Concernant la piste de la facilité d’accès aux marchés publics, il me semble complètement légitime que la puissance publique favorise les entreprises dont les externalités négatives sont inférieures à celles générées par d’autres entreprises.

Pourquoi, selon vous, la notation extra-financière doit-elle être appréhendée à l’échelle européenne ?

O.G –  Dans le cadre du pacte vert présenté par la Commission européenne avant la crise du Covid-19, le vice-président Valdis Dombrovskis a annoncé que l’Europe présenterait une première piste pour la notation de la performance extra financière avant décembre 2020. La crise sanitaire nous montre qu’il y a urgence à accélérer sur ce sujet car nous avons affaire à une compétition internationale sur l’indicateur de la performance extra financière. Ce n’est pas un sujet technique, mais bien de souveraineté européenne sur le plan économique. Nous avons déjà délégué les normes comptables IFRS aux Américains. Si nous ne définissons pas nos propres critères, les Etats-Unis pourraient être en mesure de nous imposer les leurs. Et ces normes pourraient ne pas être les plus adaptées pour valoriser nos entreprises européennes.

P.D – Aborder le sujet de la notation à l’échelle européenne serait l’occasion de définir un modèle économique alternatif par rapport au capitalisme chinois et américain. Nous ne pourrons pas gagner la bataille économique contre la Chine et les Etats-Unis si nous utilisons leurs propres armes, les armes traditionnelles du capitalisme. L’Europe a une carte à jouer sur le développement d’un modèle alternatif et peut prendre un temps d’avance. Ce serait, non seulement l’occasion d’affirmer sa souveraineté mais aussi celle de retrouver une place de premier choix dans la compétition mondiale. Ce serait dramatique de manquer cette occasion et de reprendre après la crise comme si rien ne s’était passé. Il faut commencer à réfléchir au monde d’après dès à présent.

*Instauré par la loi Pacte, le statut d’entreprise à mission permet à une société d’ajouter à son objet social des objectifs sociétaux et environnementaux. Prolongation de la raison d’être d’une entreprise, ce statut est plus engageant car la réalisation des objectifs écrits dans les statuts fait l’objet d’un contrôle.


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