En pleine crise financière, la Grèce avait décidé d’exploiter les photos satellites pour traquer les piscines que les propriétaires dissimulaient au fisc. L’idée a fait son chemin. Comme l’a révélé « Le Canard enchaîné », Bercy a choisi de s’allier à Google pour repérer depuis le ciel les biens (piscines, vérandas, courts de tennis, etc.) qui n’auraient pas été déclarés aux services des impôts, pour le paiement de la taxe foncière ou celui de la taxe d’habitation, toujours en vigueur pour les résidences secondaires .
« Les explications de la venue de Google dans cette nouvelle mission de la Direction générale des Finances publiques sont simples aux yeux de l’administration : Google est là pour créer un logiciel de détection automatique de bâtis et piscines sur les photos récoltées auparavant à l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) », peut-on lire dans un compte rendu publié par la CGT Finances publiques en mars.
Autorisation des propriétaires
Le géant du numérique intervient dans le cadre d’un projet baptisé « Foncier innovant », qui vise à utiliser l’intelligence artificielle pour lutter contre la fraude aux impôts locaux. L’idée est de mettre en relation les 87 millions de parcelles cadastrales du territoire et les prises de vue satellitaires de Google. Objectif : améliorer les contrôles et remédier au fait que les géomètres du service cadastral sont obligés d’obtenir une autorisation des propriétaires pour mener des inspections, rappelle « Le Canard enchaîné ».
Ces dernières années, le fisc a déjà effectué des expérimentations fructueuses. En 2017, le croisement des informations cadastrales avec les photos aériennes avait permis de constater que plus d’un tiers des 800 piscines de la ville de Marmande, dans le Lot-et-Garonne, n’étaient pas déclarées. En 2019, des tests avaient été réalisés dans trois départements, révélant l’existence de 3.000 piscines clandestines.
L’algorithme mis en place avec Google, qui doit, lui, s’appliquer à un panel plus large de biens taxables, est déjà en phase de déploiement dans les Alpes-Maritimes, l’Ardèche, les Bouches-du-Rhône ou le Maine-et-Loire, avant une généralisation à tous les départements.
Le jeu en vaut la chandelle pour les finances publiques, lorsqu’on sait que l’ajout d’une piscine ou d’un autre élément de bâti augmente considérablement les taxes foncières et d’habitation dues par les contribuables.
Données souveraines
Mais le choix de l’américain Google – qui a lui-même été condamné pour fraude fiscale – interroge. Cette collaboration passe d’ailleurs mal auprès des agents des impôts. « S’appuyer sur Google est problématique », pointe un représentant syndical. « Il faut être vigilant avec les données souveraines ; il vaudrait mieux continuer de mettre les moyens sur nos propres systèmes informatiques en matière de cadastre », estime-t-il.
La Direction des Finances publiques a assuré aux syndicats que Google n’aura « à aucun moment accès aux données cadastrales » et fera juste le « traitement des images ». La propriété intellectuelle du plan cadastral restera aux mains de l’administration. Autre précision : la firme californienne travaille avec Bercy par l’intermédiaire de Capgemini. C’est la société française qui, avec les services du cadastre, traitera le logiciel créé par Google. Ce dernier n’interviendra ensuite qu’en cas de dysfonctionnement.
Interrogée par les syndicats sur la révocation d’Accenture, qui avait été initialement choisi pour le projet et avait démarré ses travaux, la direction du fisc a expliqué que celui-ci avait d’abord refusé d’ouvrir l’accès à son logiciel. Les trois ans d’expérimentation avec Accenture ont coûté 800.000 euros. La facture totale du projet Foncier innovant avec Google et Capgemini doit s’élever, quant à elle, à 12 millions d’euros.
La Direction générale des Finances publiques, qui voit le nombre de ses agents baisser depuis des années, se fait fort de devenir championne de la « big data » pour compenser. Il y a quelques mois, elle a reçu l’autorisation d’expérimenter la collecte et l’exploitation des données des contribuables sur les réseaux sociaux, tels que Facebook, Twitter, LinkedIn… Mais la révolution 2.0. doit encore prouver qu’elle fait rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat.