A quoi sert l’argent public ? La question revient de plus en plus fréquemment, alors que montent les critiques contre certains services publics. Après la crise des « gilets jaunes », le gouvernement avait déjà fait une communication sur ce sujet. Au printemps dernier, Gabriel Attal, alors ministre aux Comptes publics, avait lancé la campagne « en avoir pour mes impôts », pour informer les contribuables et les sonder sur d’éventuelles pistes d’économies. Sans forcément que des conséquences politiques en soient tirées dans les deux cas.
La note que publie ce jeudi le site spécialisé dans les finances publiques Fipeco permet de dessiner un tableau objectif de la situation, en dégageant les grandes tendances qui s’imposent depuis une trentaine d’années. Pour résumer les choses, on pourrait dire que le choix collectif fait par la France depuis le milieu des années 1990 consiste à dépenser bien plus en faveur des retraités, au détriment notamment de la jeunesse.
Le poids des retraites et de la santé
« Ce qui ressort, c’est le poids grandissant de la protection sociale, et notamment des dépenses de retraites, alors que celles en faveur de l’enseignement sont en baisse depuis 1995 », constate François Ecalle, ancien magistrat à la Cour des comptes et fondateur du site. La Défense fait aussi partie des grands perdants de la période, malgré l’effort décidé par Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Elysée.
Dans le détail, la note a cherché à déterminer ce que finançaient nos prélèvements obligatoires, qui regroupent à la fois les impôts et les cotisations sociales versées. Pour 1.000 euros de prélèvements obligatoires, 563 euros ont été consacrés en 2022 aux dépenses de protection sociale. Et dans ce large champ, on retrouve 247 euros pour les retraites et 209 euros pour la santé, tandis que 37 euros sont consacrés aux familles et 29 euros aux allocations de chômage.
Derrière cette large enveloppe, le deuxième poste de dépenses revient à celles octroyées au soutien aux activités économiques (116 euros). Il s’agit d’un ensemble très hétéroclite, où l’on retrouve aussi bien des mesures générales d’aides à la production (28 euros) que celles pour le transport (35 euros) ou les aides aux énergies renouvelables (23 euros).
Enseignement en berne
Sur la dernière marche du podium se trouve l’enseignement, pour lequel on consacre 90 euros des 1.000 euros de prélèvements obligatoires. Pour les activités régaliennes, le duo police-justice reçoit 30 euros et la Défense 35 euros. La protection de l’environnement reste marginale à 19 euros, même si en réalité les dépenses sont plus importantes et éclatées dans d’autres domaines.
Si l’on compare avec la situation en 1995, certaines tendances nettes apparaissent. En trente ans, les dépenses consacrées à la Défense ont fondu d’un tiers, passant de 46 à 31 euros. Celles pour l’environnement ont légèrement progressé, de 11 à 18 euros. Quant aux services généraux – le train de vie de l’Etat en somme – ils atteignent 67 euros « ce qui n’est pas autant que ce que l’opinion publique l’imagine ».
Problème structurel de dépenses
Mais c’est surtout le changement d’équilibre entre générations qui frappe. Les dépenses pour la protection sociale pour la vieillesse sont passées de 224 à 247 euros (+10 %), tandis que celles pour la santé (elles aussi tirées par le vieillissement de la population) grimpaient de 180 à 209 euros. Pour la jeunesse, c’est la soupe à la grimace en revanche : l’enseignement est passé de 105 à 90 euros en trente ans (-14 %), et on peut aussi noter la moindre attention donnée aux familles (48 euros en 1995, contre 37 euros désormais).
« Le niveau de la dette publique pose un problème de finances publiques à la France, mais elle doit aussi gérer un problème plus structurel d’affectation de la dépense, qui ne prépare pas assez le futur », estime François Ecalle. Pour l’ancien magistrat à la Cour des comptes, cette situation anormale devrait nourrir la réflexion du gouvernement, au moment où celui-ci recherche déjà 12 milliards d’euros d’économies pour le prochain budget 2025.
« Une désindexation partielle par rapport à l’inflation du niveau des retraites ferait sens et même figure de justice au vu des choix faits par le gouvernement pour sa réforme », estime François Ecalle. Sans doute de peur de déplaire à un électorat qui lui est acquis, Emmanuel Macron avait en effet totalement exonéré d’efforts les retraités actuels .