Personne ne s’en plaindra mais il y a quelque chose de paradoxal, voire de mystérieux, dans la très bonne tenue du marché de l’emploi. Malgré une croissance nulle du PIB au premier trimestre, le nombre de salariés a encore augmenté de 66.000 dans le secteur privé, a indiqué vendredi l’Insee.
A l’arrêt, l’économie française a continué à étoffer ses effectifs, donnant du travail à autant de jeunes ou de chômeurs qui n’en avaient pas ou pas encore. Pas le moins surpris, Eric Heyer, économiste à l’OFCE, le résume d’une façon abrupte mais qui a le mérite de poser le problème : « Les entreprises embauchent à tour de bras même quand elles n’en ont pas besoin. »
Offres d’emploi toujours dynamiques
De fait, indique-t-on chez Pôle emploi, le nombre d’offres collectées par l’opérateur public en mars et avril, après le déclenchement de la guerre en Ukraine, est supérieur d’un quart à ce qu’il était durant la même période de 2019. Mieux, à 58,3 %, la part de CDI ou de CDD de plus de six mois a gagné quatre points, ce qui signifie que quantité va de pair avec qualité.
Du côté de l’Apec, on note bien un effet guerre sur les prévisions d’embauche des cadres cette année , mais limité. Après les contraintes d’approvisionnement, les difficultés de recrutement restent le second souci des chefs d’entreprises même si les abandons faute de candidats restent « modestes » eu égard au volume des embauches, affirme le directeur des études et de la performance de Pôle emploi, Stéphane Ducatez.
Eric Heyer ramène le paradoxe des chiffres du premier trimestre à toute la période écoulée depuis début de la crise du Covid : avec un PIB qui ne dépasse que de 0,9 % son niveau de fin 2019, comment se fait-il que l’emploi ait progressé de 2 % ? Cela donne, a-t-il calculé, plus de 500.000 postes « inexpliqués ». A défaut de certitudes, plusieurs pistes se dessinent.
Les milliards du « quoi qu’il en coûte »
Dans un ordre aléatoire, on peut mettre en avant les créations d’emplois à coût zéro, principalement d’apprentis compte tenu de la prime de 5.000 euros pour l’embauche d’un mineur, de 8.000 euros au-delà de 18 ans. C’est sans doute vrai, mais pas sur le premier trimestre, l’essentiel des embauches d’alternants ayant lieu de mai à décembre.
Autre explication, la plus avancée : les milliards du « quoiqu’il en coûte » ont maintenu l’emploi au prix d’une détérioration de la productivité de l’économie française qui demeure. On peut aussi avancer un moindre recours dans le BTP aux travailleurs détachés (qui n’apparaissaient pas dans l’emploi) au profit d’embauches de locaux (qui elles apparaissent). Pourquoi pas aussi un effet de vase communicant entre travail au noir et travail légal ? Ou encore le maintien en vie de nombreuses entreprises « zombies » grâce à l’argent public ?
Carnets de commandes remplis
Malgré le contexte international et le fort regain d’inflation, les carnets de commandes des entreprises restent par ailleurs bien garnis. Tirant les leçons du Covid, nombre d’employeurs préfèrent conserver leurs troupes, le plus longtemps possible en tout cas.
Combien de temps cela peut-il durer ? Si l’inflation reste élevée et les chaînes d’approvisionnement mondiales enrhumées, les carnets de commandes des entreprises vont logiquement finir par s’éroder, et les embauches avec. Quand bien même les grands maux macroéconomiques disparaissaient, la logique voudrait aussi que les embauches ralentissent. A défaut faudra-t-il encore chercher les raisons de ce grand paradoxe…