Attention, dossier sensible. Alors qu’il se vante depuis des mois d’avoir pris des mesures coûteuses pour protéger les Français de l’inflation , le gouvernement doit accélérer en cette rentrée sa réflexion sur la suite à donner à la plus emblématique d’entre elles, le bouclier tarifaire sur le prix du gaz et de l’électricité. Avec le souci affirmé dans la majorité d’une sortie progressive de ce dispositif, tout en faisant en sorte que les hausses de prix restent raisonnables.
A l’automne dernier, l’équipe de Jean Castex avait pris deux mesures fortes pour contrebalancer les effets d’une inflation qui faisait déjà sentir ses effets sur les prix de l’énergie : un gel du prix du gaz à son niveau d’alors , et une augmentation de l’électricité limitée à +4 % en 2022. Le premier dispositif doit se finir à la fin de l’année et le second en février prochain. Le régulateur du secteur, la CRE (commission de régulation de l’énergie), a fait savoir mardi que le niveau moyen des tarifs réglementés du gaz au 1er septembre aurait été supérieur de 105,10%à celui de l’automne 2021, sans le bouclier tarifaire.
Records pour le gaz
Officiellement, l’exécutif se laisse un peu de temps pour décider de la suite à donner. « Tout dépendra du niveau des prix de l’énergie en fin d’année », fait-on valoir au sein du gouvernement. Mais les niveaux actuels ont de quoi donner quelques sueurs froides à Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie : cette semaine, le prix du gaz a atteint de nouveaux sommets , le MWh livré à Rotterdam culminant à 295 euros lundi.
Une évolution qui va renchérir le coût de ce bouclier tarifaire pour 2022 – 16 milliards pour l’électricité et 4,7 milliards pour le gaz au dernier décompte fait en juillet avant la nouvelle flambée des cours – et met la pression pour l’an prochain.
Le statu quo paraît pourtant difficilement envisageable. « Il fallait amortir une partie du choc, mais je pense qu’on est allé un peu trop loin et que ce n’est pas une bonne idée que l’Etat prenne à sa charge tout le coût de la crise énergétique. Maintenir le gel du prix du gaz serait contradictoire avec le message de sobriété », juge Philippe Martin, doyen de l’Ecole d’affaires publiques de Sciences Po.
Ciblage des aides
De fait, au sein de la majorité, on a conscience qu’une évolution est nécessaire. « La France est le pays dont l’Etat a assuré le soutien le plus fort, et cela va continuer. Mais nous ne pourrons pas rester éternellement dans ce système de bouclier tarifaire et de blocage du prix du gaz, il va falloir organiser une sortie progressive et aller vers des dispositifs plus ciblés », assure Jean-René Cazeneuve, député Renaissance et rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale .
Outre les ménages modestes, ce ciblage devrait aussi concerner à son sens les industries très consommatrices de gaz, qui bénéficient pour le moment d’un dispositif spécial qui doit lui aussi s’achever à la fin de l’année. « Au moment où l’on parle de nécessaire réindustrialisation, il faut préserver la compétitivité », insiste-t-il.
Le chemin est toutefois étroit pour le gouvernement, qui veut éviter les tensions sociales similaires à celles que connaissent l’Allemagne et surtout la Grande-Bretagne . « Il y aura, comme tous les ans, une hausse en 2023 des prix de l’électricité et du gaz. Mais il est trop tôt pour dire son niveau. Notre objectif, c’est également de recentrer les aides sur ceux qui en ont le plus besoin », explique-t-on à Bercy.
Ligne rouge
Une augmentation des factures de 70 % à 80 % – similaire à celle en germe en Grande-Bretagne pour le mois d’octobre, si le futur gouvernement ne fait rien – paraît bien sûr inenvisageable politiquement pour l’exécutif. Celui-ci va donc devoir naviguer au plus juste en fonction de l’évolution des cours. « Une hausse de 10 à 20 % du prix, couplée à un coup de pouce aux plus modestes avec un renforcement du chèque énergie, pourrait être une solution. Le choc resterait amorti, mais il y aurait malgré tout un signal prix pour réduire la consommation », avance Philippe Martin.
Pour l’économiste, cette sortie progressive du bouclier tarifaire ne peut toutefois pas être la seule réponse à la crise actuelle. « Au printemps, les Etats européens avaient demandé à la Commission de travailler à l’instauration d’un prix plafond pour l’achat de gaz russe au niveau continental. Il faudrait que la France pousse ce dossier », juge-t-il.