Emmanuel Macron a fait de la réindustrialisation la « mère des batailles ». Le mouvement vous paraît-il engagé ?
Après des décennies de désindustrialisation, la France a arrêté l’hémorragie. Depuis 2012, la part du secteur manufacturier dans le PIB s’est stabilisée. Et il y a désormais des signaux positifs : depuis 2017, il y a eu près de 280 créations nettes d’usines sur le territoire, dont 210 au cours des deux dernières années. Le secteur manufacturier a aussi créé 110.000 emplois depuis 2018, ce qui représente une hausse de 5 % des effectifs. L’emploi industriel reste toutefois inférieur à son niveau d’avant la crise financière de 2008.
Pendant longtemps, la question de l’industrie a été négligée en France. En quoi réindustrialiser sera-t-il vertueux pour le pays ?
C’est un enjeu de prospérité et de souveraineté. La réindustrialisation doit nous permettre de créer de la richesse, ce qui profitera à l’ensemble de l’économie, et d’éviter un déclassement face à d’autres puissances. Elle apporte à la classe moyenne des emplois mieux rémunérés et plus stables que les métiers des services. Même si du fait de la robotisation il ne faut pas s’attendre à la création d’un million d’emplois !
En se désindustrialisant, la France a perdu des compétences et des capacités d’innovation.
Par ailleurs, près de 75 % de la R&D des entreprises est faite dans l’industrie. Tout cela doit déclencher un cercle vertueux. C’est ce qu’ont bien compris Donald Trump puis Joe Biden aux Etats-Unis, qui ont mis la reconquête industrielle au coeur de leurs politiques.
L’industrie manufacturière représente moins de 10 % du PIB français. Peut-on recréer un tissu productif à partir d’une base aussi faible ?
C’est un handicap important. En se désindustrialisant, la France a perdu des compétences et des capacités d’innovation. Mais le pari du gouvernement est que la révolution verte rebat les cartes et qu’il va pouvoir tirer profit de cette révolution pour rebâtir un tissu productif autour de cinq technologies (les batteries, l’hydrogène,…). Par exemple, les métiers et les technologies de la voiture électrique ne sont pas les mêmes que ceux des moteurs thermiques traditionnels. Les constructeurs doivent faire leur révolution, ce qui remet un peu tout le monde sur un pied d’égalité. Même si certains se sont lancés avant les autres et ont pris de l’avance.
Les Etats se sont lancés dans une surenchère de subventions pour attirer les investissements verts. Comment la France se situe-t-elle ?
L’Europe, et donc la France, sont en concurrence avec les Etats-Unis et la Chine qui ont une approche assez agressive puisqu’ils subventionnent massivement leur industrie et conditionnent leurs aides au fait de produire localement ou dans des pays amis. En Europe, de telles règles seraient interdites. Mais la France pousse pour contourner l’interdiction via des critères environnementaux, censés favoriser les véhicules fabriqués sur notre continent. C’est l’objectif du bonus écologique pour les voitures électriques .
Se pose aussi la question des moyens financiers…
Oui et cela renvoie à la question des marges de manoeuvre budgétaires. Par rapport aux Etats-Unis et à la Chine, il est clair que la France ne dispose pas, seule, de la même force de frappe. Au niveau européen en revanche, elle est mieux placée que les pays du Sud, l’Espagne et l’Italie par exemple, mais elle a moins de marges de manoeuvre budgétaires que l’Allemagne.
Pour qu’Intel investisse 30 milliards d’euros à Magdebourg pour ouvrir une usine de puces, les autorités allemandes lui ont accordé 10 milliards d’euros d’aides.
La France peut difficilement mettre autant sur la table pour un projet et elle n’a pas les moyens de multiplier ce type d’interventions. Elle va néanmoins apporter près de 3 milliards d’euros au site de semi-conducteurs de STMicroelectronics et GlobalFoundries à Crolles.
Quoi qu’il en soit, renforcer le cadre européen pour mieux mutualiser les moyens apparaît prioritaire !
On a le sentiment qu’en France, la réindustrialisation repose sur les entreprises étrangères. Est-ce une bonne voie ?
Une partie de la stratégie du gouvernement repose sur l’attractivité . L’objectif est d’attirer des investissements étrangers sur notre sol. Un tel objectif ne va pas de soi. Par exemple, lorsque ces capitaux étrangers rachètent des sites de production, cela conduit à céder la propriété et le contrôle d’une partie de notre structure de production.
Subventionner des concurrents étrangers ne va pas non plus de soi. En revanche, une telle stratégie peut se justifier si elle permet de renforcer notre tissu productif et d’augmenter nos exportations (plus que les importations).
Attirer les investissements étrangers est alors une composante d’une politique de filières, comme celle autour de la voiture électrique dans la « vallée de la batterie ». Celle-ci doit permettre de créer un écosystème qui génère de l’innovation, des compétences, en réduisant les dépendances en amont et en aval de la production.
L’objectif affiché par l’exécutif est de remonter la part de l’industrie dans le PIB à 15 %. Cela vous semble-t-il réaliste ?
C’est un objectif très ambitieux qui suppose une évolution du modèle de production de la France. Augmenter la part de l’industrie dans le PIB implique de réduire simultanément la part des autres secteurs, et notamment celle des services marchands et de la construction. C’est un objectif d’autant plus difficile à atteindre que la croissance et l’emploi sont très dépendants en France de ces deux secteurs.
Par ailleurs, si on veut remonter la part de l’industrie à 15 % du PIB, miser sur les seules industries vertes ne suffira pas. Réindustrialiser, c’est-à-dire rééquilibrer la structure de production vers l’industrie, suppose de mobiliser tous les instruments de la politique économique dans cette direction.
En Allemagne, le maintien de la part de l’industrie dans le PIB dans les années 2000 est par exemple passé par des réformes de la protection sociale, qui ont comprimé la demande, et pénalisé relativement les services et la construction.
Si le pari est de réussir la transition écologique via la réindustrialisation, ces deux objectifs peuvent aussi entrer en contradiction.
Les prix de l’énergie sont-ils un obstacle ?
Les prix du gaz restent plus élevés en Europe qu’aux Etats-Unis. Ce qui constitue un frein à la réindustrialisation . Mais la France dispose d’un avantage avec le nucléaire. Avec son mix énergétique, et un parc nucléaire fonctionnant normalement, elle aurait un avantage compétitif réel.
Qu’attendez-vous du projet de loi Industrie verte qui vise à faciliter l’implantation d’usines sur le territoire ?
Le texte, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale fin juillet, va dans le bon sens. Ce n’est pas le grand soir mais il essaie de s’attaquer à certaines faiblesses françaises en simplifiant et en réduisant le temps des procédures, en cherchant à libérer du foncier (la France manque de terrain pour accueillir des gigafactories) ou à mieux orienter l’épargne vers les industries vertes. En revanche, l’épineuse question des mesures fiscales et d’aides a été renvoyée à l’automne.
Autre point central, la question de la hiérarchisation des priorités n’est pas tranchée : si le pari est de réussir la transition écologique via la réindustrialisation, ces deux objectifs peuvent aussi entrer en contradiction. Par exemple, après des débats, l’Assemblée nationale a adopté un dispositif, dans le texte de fin juillet, permettant de déroger au code de l’environnement, les projets « d’intérêt national majeur » pouvant sortir du décompte du « zéro artificialisation nette » des sols.