Encore une négociation rondement menée, disent les uns. Rien n’est joué, répliquent les autres. Les partenaires sociaux gestionnaires de l’Agirc-Arrco se sont réunis jeudi pour la troisième et dernière fois depuis le 21 juin, afin de décider comment redresser la trajectoire financière du régime de retraite complémentaire des salariés du privé. Un projet d’avenant à l’accord de 2019 devait être soumis à signature dans la journée. La CFDT et la CFTC vont le soutenir devant leurs instances ; FO, la CFE-CGC et la CGT le rejettent.
Ce texte prévoit de donner au conseil d’administration de l’Agirc-Arrco la possibilité de sous-indexer les pensions complémentaires jusqu’à 0,5 point en dessous de l’inflation, au moment de la revalorisation de novembre 2021 puis de novembre 2022. Il s’agit d’une dérogation temporaire. Les règles interprofessionnelles fixées en 2019 prévoient une souplesse de 0,2 point à la main du conseil d’administration, dans le cadre de la gestion annuelle.
« Quelques euros par mois »
« Il faut voir que nous sommes dans un contexte d’inflation plutôt élevé cette année », explique le négociateur du Medef, Olivier Bogillot, qui s’attend à un impact de « peut-être quelques euros par mois » pour les assurés. Si l’inflation attendue de 1,4 % se confirme, les pensions seraient tout de même revalorisées de 0,9 % malgré la sous-indexation.
La crise sanitaire a fait plonger les comptes de l’Agirc-Arrco, si bien que le régime a dû puiser dans ses réserves. Les projections montrent qu’avec la répétition des déficits à venir, leur niveau pourrait descendre en dessous du seuil critique de six mois de prestations autour de 2029 . Le conseil d’administration a donc fait valoir son devoir d’alerte, en application de l’accord de 2019.
Coup de pouce à l’action sociale
Le choix d’une souplesse accrue dans la revalorisation convenait mieux à la CFDT que les autres solutions proposées par le patronat , à savoir une sous-indexation de 0,7 point en 2021-2022 puis de 0,3 point en 2022-2023, ou bien deux années à -0,5 point d’application automatique. Cela permet de renoncer à la sous-indexation si les perspectives s’améliorent, dans une période riche en incertitude et en rebondissements.
La CFTC, de son côté, a obtenu que l’on renonce pendant deux ans aux économies prévues sur le fonds d’action sociale, qui vient en aide aux salariés les plus fragiles dans la crise : 13 millions d’euros seront ainsi réinjectés dans ce dispositif.
Les retraités vont payer
Toutefois, Olivier Bogillot a beau se réjouir d’avoir conclu un avenant en trois réunions avec « des débats techniques et apaisés », le plus difficile reste peut-être à venir. « Je porterai un avis négatif au bureau lundi prochain », clame Michel Beaugas, le négociateur FO. Son organisation était pourtant signataire de l’accord de 2019. « Nous avions signé en 2019, car l’accord prévoyait le maintien du pouvoir d’achat des retraités. Or le projet du Medef ne fait porter les économies que sur les retraités », s’indigne-t-il. FO demandait une autre forme de souplesse : que le seuil d’alerte des réserves soit abaissé à quatre mois de prestations pendant deux ou trois ans.
Même si l’avenant entre en vigueur, sa mise en oeuvre sera compliquée avec trois organisations syndicales très remontées. Car le conseil d’administration est composé… des mêmes partenaires sociaux qui viennent de boucler la négociation. A l’automne, quand viendra le moment d’arrêter les revalorisations pour 2021-2022, ils risquent de s’écharper.
« On est très loin de l’esprit de consensus qui a toujours prévalu à l’Agirc-Arrco », s’inquiète Pierre Roger, le négociateur CFE-CGC. Le syndicat aurait voulu que l’on patiente jusqu’à la fin 2022 pour décider d’éventuelles mesures de redressement, car si le futur chef de l’Etat décide de repousser l’âge de la retraite, le niveau des réserves va remonter en flèche. Visiblement, le Medef ne veut pas lâcher la proie pour l’ombre.