Pouvoir partir plus tôt à la retraite dès lors qu’on exerce un métier pénible ? Une évidence pour huit Français sur dix qui estiment que cela doit intervenir quatre ans avant l’âge légal, là où le projet de réforme ouvre la voie à deux ans seulement. Une évidence, surtout, qui transcende les sympathies politiques. C’est ce qui ressort d’un sondage Elabe pour « Les Echos », Radio Classique et l’Institut Montaigne.
Premier constat : six actifs en emploi sur dix estiment exercer un métier pénible, soit 16 millions de personnes. C’est encore plus le cas des ouvriers (85 %) mais, de manière surprenante, ça l’est aussi de quatre cadres sur dix. « Ce n’est pas rien », décrypte le directeur conseil-opinion d’Elabe, Vincent Thibault.
Rajout des quatre critères
Pour les trois quarts des Français, le projet de réforme actuellement débattu à l’Assemblée nationale ne prend pas suffisamment en compte le sujet. Cette perception vaut quels que soient l’âge, la profession, la localisation et… la préférence partisane. Si 81 % de ceux qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la dernière présidentielle la partagent, c’est aussi le cas de 60 % des électeurs d’Emmanuel Macron.
De manière encore plus surprenante, les seconds sont plus nombreux à penser que pénibilité doit aller de pair avec cessation anticipée d’activité (86 % contre 78 %). La suite est logique : au-delà des critères actuels (travail de nuit, répétitif ou encore en milieu hyperbare, de bruits ou de températures extrêmes), les Français plébiscitent l’ajout dans le compte de prévention des quatre paramètres supprimés en 2017 .
Pour mémoire, il s’agit de la manutention de charges lourdes, des postures contraignantes, de l’exposition chimique et de celle aux vibrations mécaniques. Là encore, la prise en compte de tous ces facteurs – avec le stress en bonus – ne fait pas débat et encore moins dans les rangs macronistes.
« Au-delà du report de l’âge légal à 64 ans qui cristallise l’opposition à la réforme, la pénibilité pourrait être un levier de compromis à même, peut-être pas de la faire accepter, du moins d’en diminuer le rejet », en conclut Vincent Thibault qui souligne le « loupé » entre le projet et la perception des Français vis-à-vis de leur travail au quotidien. « Même le système actuel n’est pas satisfaisant aux yeux des Français », souligne-t-il.
Pour mémoire, le projet de réforme prévoit que les branches professionnelles recensent avec la Sécurité sociale les métiers exposés aux risques ergonomiques responsables de neuf maladies professionnelles sur dix : postures pénibles, port de charges lourdes et vibrations mécaniques. Un fonds de 1 milliard d’euros financera des actions « de sensibilisation, de prévention et de reconversion » au bénéfice des salariés concernés.
Au passage, le compte professionnel de prévention (C2P) gagnera de nouveaux droits, mais à critères inchangés, ce qui permettra « à plus de 60.000 personnes supplémentaires de bénéficier d’un compte » chaque année, selon le gouvernement. Un suivi renforcé par la médecine du travail est aussi promis à compter de 45 ans. De même qu’une visite obligatoire à 61 ans ouvrant la voie à un départ à taux plein à 62 ans pour ceux qui ne pourront plus travailler. Soit deux ans plus tôt que le futur âge légal, si la réforme est votée.